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voit reparaître Gobelousse un peu plus souvent qu’il ne faudrait pour notre goût. Un peu d’ail a son prix, mais il ne faut pas qu’on en ait mis partout.

Encore une nouvelle arrivante, Speranza, bohémienne aux pieds nus. Et encore une qui n’a pas de chance ! Dans la troupe des brigands se trouve le persécuteur devant qui elle fuit sur les routes, au grand dam de ses pieds nus. Vous n’êtes pas sans savoir que ces coureuses de grands chemins sont le plus souvent des personnes d’une vertu farouche. Le brigand va faire un mauvais parti à la bohémienne, lorsque Régine intervient et sauve Speranza en jetant une bourse à ce vilain homme. Cette bourse va être l’instrument de la Providence. Car les brigands, en se la disputant, s’exterminent les uns les autres. Nous en voilà débarrassés.

Ce premier acte se laisse entendre et regarder sans fatigue. On ne voit pas très bien où l’auteur veut en venir et sur quelle piste il nous dirige. Mais on est toujours sûr d’arriver quelque part sur le coup de minuit. Il y a de la couleur, du mouvement et du bruit. Nous nous rappelons vaguement des histoires de voleurs dont a tremblé notre enfance, et qui s’encadraient aussi dans un décor [d’auberge coupe-gorge. Nous songeons aux opéras-comiques où il y a des voitures versées. Nous avons dans notre mémoire tout un stock d’enfans trouvés et de grands dadais qui ont l’amour triste. Cet ambigu de guignol et de roman sentimental n’est pas dépourvu de saveur.

Au second acte, la toile se lève sur un charmant décor. C’est à Harlem une place de marché. La foule stationne, s’attarde, bavarde. Des buveurs sont attablés en plein vent. Ce ne sont pas buveurs du dernier tonneau, puisque, parmi eux, il y a Franz Hals. La question des tulipes fait le fond des conversations. On nous cite des prix, des surenchères, des extravagances. Celui-ci a donné sa maison pour une tulipe, et cet autre sa fortune pour un oignon. Cela met Franz Hals en colère. Ce grand homme pense que la tulipe est une fleur bête. Il se peut qu’il ait raison, mais il raisonne mal. Il méconnaît la psychologie du collectionneur. Qu’il s’agisse de fleurs ou de faïences, de serrures ou de timbres-poste, ce n’est pas la valeur d’une pièce qui en fait le prix, c’est sa rareté. Qui ignore la joie de découvrir enfin la pièce unique, ou le désespoir d’enfermer dans ses vitrines une série incomplète, celui-là n’a rien à nous dire sur cette sorte de manie, si honorable d’ailleurs et souvent si bienfaisante. Franz Hals fait l’éloge de la peinture de portraits qu’il estime très supérieure à la peinture de fleurs. Il ajoute que la peinture de portraits, pour être tout à fait