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Mais Louis XI, Commines, Machiavel ont eu des précurseurs : leurs maîtres et modèles furent ces princes de la maison de Valois, fils et petit-fils de Charles V, au premier rang le « grand duc d’Occident, » Philippe le Bon.

On sait, de reste, que le risque couru par la France, au temps de Charles VII, fut la rivalité, un moment prépondérante, de la domination de Bourgogne qui, installée sur la Meuse, la haute Seine et l’Escaut, n’avait qu’à tendre les bras aux Anglais, maîtres de la Guyenne, du Périgord et de la Normandie, pour enserrer et étouffer la dynastie capétienne. Le roi de Bourges, aplati entre ces deux forces, ne pesait guère plus qu’un duc de Bretagne à demi indépendant, un roi d’Arles ou un duc de Savoie à demi italiens.

Or, dans cette lutte décisive, Charles VII, pauvre héritier dépouillé et inexpérimenté, avait pour partenaire le plus puissant de ses parens, l’homme d’Etat le plus raffiné et le plus ambitieux de sa génération, nageant à pleines eaux dans ces temps troubles, Français d’origine, Flamand de choix, Anglais de calcul et d’alliance, se portant tantôt d’un côté tantôt de l’autre, et poursuivant ainsi le but caché que son excessive prudence n’avait pas encore osé s’avouer à elle-même.


Il y a, dans la galerie du roi de Wurtemberg, un buste représentant Philippe le Bon : on dirait plutôt Philippe le Magnifique. La figure longue, puissante et osseuse, entièrement rasée, le grand nez droit, les larges oreilles, le rictus de la bouche aux lèvres épaisses, serré et renfoncé vers les commissures fortement accusées, le menton plein, les joues râpeuses, labourées d’une ride verticale, le front haut et étroit reposant sur des arcades sourcilières majestueusement symétriques, ce masque, que le large chapeau auréole, découvre une nature robuste, sèche et superbe. La puissance et la ruse se disputent ce visage froid où tout se devine, rien ne se lit. Il y a du César en ce Valois. Le regard porte au-dessus du spectateur et au-delà du spectacle, illuminant vaguement d’imagination ambitieuse une physionomie de paysan pratique et gaigneur. Comme ce terrible sire s’emboîte bien, dans l’histoire, entre Charles V et Louis XI ! Le portrait ne nous trompe pas : c’est bien ainsi que les contemporains l’ont vu : « Droit comme un jonc, fort d’eschine et de bras, et de bonne croisure, le regard fier sous des