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l’un dans l’autre, l’un chez l’autre : les parens sont les plus incommodes des adversaires, alors même qu’ils sont les plus détestés ennemis.

Et puis, il y avait d’autres solutions possibles qu’une brutale exhérédation du cousin. En matière de’ succession tout arrive. Les fils de Charles V n’avaient-ils pas régné pendant la minorité de Charles VI ? Ce « Dauphin » chétif était un obstacle bien mince entre ses parens et le pouvoir ; sa santé physique et morale ne paraissait pas beaucoup plus solide que celle de son père. La nature se charge parfois de résoudre les problèmes qu’une hâte désordonnée complique.

La modération s’imposait pour d’autres raisons encore : la domination des ducs de Bourgogne était récente, leurs territoires étaient dispersés, leurs sujets fiers et turbulens. Ces républiques des Flandres très occupées par leurs affaires, à elles, s’intéressaient peu aux desseins et aux convoitises de la maison régnante. Chaque effort au dehors avait pour contre-coup une rébellion au dedans. Ce Philippe était un souverain trop récent pour jouer aux Alexandre. Il disait, beaucoup plus tard : « Je veux bien que chacun sache que, si j’eusse voulu, je fusse roi. » Peut-être. Mais il en fut de cela comme de son vœu de croisade et autres « liffreloffres » à la flamande.

A la constitution d’une grande « Bourgogne, » il est un empêchement décisif : c’est le rapprochement fatal, contre elle, de l’Allemagne et de la France. Il semble bien, qu’en Europe, il n’y ait pas de place pour une domination impériale entre ces deux pays[1]. Si Charles VI et Charles VII furent les seuls princes français, peut-être, qui conservèrent la fidélité des alliances allemandes, c’est que leurs règnes coïncidèrent avec la grandeur bourguignonne. Resserrée sur son étroite bande de terre, surveillée du côté de la mer par la jalousie anglaise, la fortune des Pays-Bas, avec tout ce qu’elle charrie d’eaux fécondantes et de limons puissans, s’enlize dans son propre succès comme le cours du grand fleuve qui les a créés se perd et s’épuise avant d’atteindre la mer.

En somme, au for intime de Philippe le Bon, si volontaire Flamand qu’il fût, si accroché à ses riches et belles Flandres, il

  1. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de place pour des populations indépendantes. Pirenne, dans son Histoire de Belgique, explique très bien cette situation des « Bourgognes » entre la France et l’Allemagne (t. II, p. 228-29).