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et de langage différens, elle leur paraît plus apte qu’aucune autre puissance à réunir, sous le sceptre des Habsbourg, les nationalités danubiennes et balkaniques ; elle les absorberait de proche en proche, une à une, et réaliserait, dans l’intérieur de l’Empire, l’union des Slaves du Sud. L’Autriche seule, à en croire ces chauvins, serait en mesure de « civiliser » les peuples balkaniques, c’est-à-dire de leur apporter, même s’ils ne le souhaitent pas, le bienfait inappréciable de la culture germanique ; c’est donc à elle qu’incombera la tâche d’organiser, sous son hégémonie, la confédération balkanique. Nous avons vu reparaître cette thèse l’année dernière, durant la crise provoquée par l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, dans le journal militaire et pangermaniste Danzers Armée Zeitung[1] ; dans un article qui fit grand bruit, il invitait le gouvernement impérial à abattre par les armes l’insolente résistance de la Serbie pour la forcer ensuite à entrer dans la confédération qui serait organisée sur le modèle de l’ancienne Confédération germanique ; on commencerait par une union douanière avec un « Zollparlament » et une banque fédérale. Ainsi, sous les auspices du Cabinet de Berlin, achèverait de se réaliser la pensée bismarckienne ; une solide mainmise germanique unirait toute l’Europe centrale, de Hambourg à Constantinople, au service des intérêts du commerce et de la « culture » allemande ; la personnalité et les vœux des petites nationalités seraient, une fois de plus, sacrifiés.

À ces projets, inspirés par les intérêts autrichiens ou germaniques, il est intéressant d’opposer des plans italiens ou « latins. » De même que jadis Douchan comptait sur le concours de Venise, il y a aujourd’hui des écrivains ou des hommes d’Etat balkaniques qui seraient disposés à chercher à Rome un appui moins onéreux que celui de Pétersbourg ou de Vienne. A travers l’Adriatique, une politique italo-slave se dessine ; on en trouverait la trace, en France, dans les livres de M. Charles Loiseau. Le mariage du roi Victor-Emmanuel avec une fille du prince de Monténégro, l’accord entre Rome et Belgrade pour le chemin de fer du Danube à l’Adriatique, enfin l’entrevue du

  1. 4 Mars 1909. — Cf. n° du 5 novembre 1908 : « Pour arriver à l’hégémonie complète dans les Balkans, nous avons besoin d’une entente avec la Turquie qui, à tout prix, doit devenir notre amie, une amie flexible et dépendante. » Voyez Paul Deschanel : Hors des frontières (Fasquelle, 1910), p. 195, et notre article du 15 décembre 1908, page 885.