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Tous ces prestiges du temps, de la gloire et de l’or entourent Constantinople d’une telle auréole et donnent à qui la possède un tel avantage sur tous ses voisins qu’entre eux et lui, l’égalité, même inscrite dans les traités, paraîtra toujours illusoire. De tous côtés convergent vers la cité fascinatrice d’incoercibles convoitises ; et d’elle, en retour, émane une influence incomparable, une autorité vraiment impériale, comme au temps où le Basileus y régnait dans sa splendeur et où les rois barbares du Danube et des Balkans se sentaient fiers de lui prêter l’hommage et de se dire ses vassaux. On connaît l’opinion de Napoléon ; parlant de son alliance avec la Russie, il disait : « Constantinople était le grand embarras, la vraie pierre d’achoppement ; la Russie la voulait ; je ne devais pas l’accorder ; c’est une clé trop précieuse ; elle vaut à elle seule un empire ; celui qui la possédera peut gouverner le monde. » L’ouverture du canal de Suez n’a laissé aux maximes de l’Empereur qu’une part de leur vérité ; mais on peut appliquer à la formation d’une confédération balkanique ce qu’il disait de son alliance avec la Russie : « Constantinople est la vraie pierre d’achoppement. » Entre celui qui la possède et ceux qui la convoitent, il peut exister des ententes temporaires ; il est difficile d’imaginer une alliance durable, encore moins une confédération sans hégémonie.

De petits Etats à petits Etats une entente ne serait pas moins difficile qu’entre les petits Etats et la Turquie. La Grèce mesure son intransigeance non à ses forces, mais à ses rêves ; en ces dernières années, en même temps qu’elle se brouillait avec la Turquie à propos de la Crète, elle entrait en conflit avec la Bulgarie et avec la Roumanie pour la Macédoine ; elle n’est guère en bons rapports qu’avec la Serbie. Il est peu vraisemblable que les Etats danubiens recherchent avec la Grèce une alliance qui ne leur apporterait pas une force réelle et qui risquerait de devenir très onéreuse. On peut admettre qu’entre les deux Etats peuplés de Serbes, Serbie et Monténégro, la volonté des peuples, malgré les susceptibilités des cours, saurait, en cas de conflit, imposer une alliance, comme on l’a vu durant la crise de 1908-1909. En serait-il de même entre la Bulgarie et la Serbie ? C’est là le point important. Ce qui paraît naturel et normal, c’est leur bonne intelligence, et cependant, c’est le bruit de leurs querelles qui remplit leur histoire. L’Autrichien et le Russe exploitent leurs jalousies pour perpétuer un désaccord dont ils