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furent éliminés. Peut-être aussi Bonaparte se souvenait-il de certaine lettre, où le citoyen Molé, membre de l’Institut, traitait de collègue le citoyen Premier Consul.

Adrienne Lecouvreur avait frayé la voie aux comédiennes ambitieuses de domination mondaine. Les soupers de Sophie Arnould furent aussi courus que ceux de Françoise Quinault, mais les duchesses n’y fréquentaient point, comme chez Adrienne Lecouvreur. Le lieutenant de police, curieux par état, voulut savoir les noms de ses convives, à un repas où l’on avait médit de Mme de Pompadour. Elle prétendit avoir oublié, il insistait : « Mais il me semble qu’une femme comme vous devrait se rappeler ces choses-là. — Oui, monseigneur, mais devant un homme comme vous, je ne suis pas une femme comme moi. »

Dans le théâtre de leur hôtel, deux filles d’Opéra, les demoiselles Verrières, ont sept, loges à baldaquin, puis des loges grillées où se glissent les femmes du monde qui veulent voir sans être vues. Colardeau et, après lui, La Harpe, s’y multiplient, à la fois auteurs, acteurs, amans de cœur ; peu ou point de farces, de parades grossières, mais des pièces empruntées à la comédie française ou italienne : c’est là que pour la première fois on représenta la Julie de Saurin, et l’Espièglerie de Billard du Monceau. D’ailleurs, la comédie de société contribue singulièrement au prestige des gens de théâtre ; on la joue en perfection au XVIIIe siècle, beaucoup de mondains prennent les leçons des professionnels, leur confient même le soin de la mise en scène, la direction des répétitions, les rôles les plus importans. Chaque grande maison a théâtre à la ville, théâtre à la campagne, avec des salles qui peuvent contenir plusieurs centaines de spectateurs, et, presque toujours, un ou plusieurs auteurs attitrés. dont les compositions alternent avec le répertoire, ministres des plaisirs littéraires, plus ou moins domestiqués, qui fabriquent à volonté prologues, épitres dédicatoires, comédies, opéras, tragédies, parades.


Voici venir la Révolution : elle émancipe les comédiens, leur accorde ce qu’on appelait la civilisation, la jouissance de tous les droits du citoyen, les déclare accessibles aux emplois civils et militaires ; ils se hâtent de les envahir avec l’enivrement de prisonniers délivrés qui marcheraient en tous sens pour se prouver à eux-mêmes leur liberté. Les voilà affranchis aussi