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du despotisme des gentilshommes de la Chambre, mais, provisoirement, la rançon coûtera cher. Ne tombent-ils pas sous le joug de la municipalité, plus dur assurément que l’autre ; sous la domination du parterre, plus capricieux, plus tumultueux que jamais, du parterre qui s’est fait peuple, et qui, affranchi de la tutelle monarchique, apporte au théâtre l’écho des passions de la rue, des clubs et des sections ? Plus de privilèges ! La noblesse a eu sa nuit du 4 août, la Comédie n’aura pas la sienne : au contraire, elle se défend jalousement, hargneusement ; elle invoque les conventions stipulées avec les anciens poètes du Théâtre Français. — « Vous avez acquis, ripostaient les auteurs, le droit de jouer les pièces ; mais, du droit de les jouer seuls, vos actes ne disent pas un mot. Le privilège n’étant plus, l’exclusif tombe en même temps, et tout le monde rentre dans ses droits. » La loi de 1791 décrète la liberté industrielle, abolit la censure (pas pour longtemps), reconnaît la propriété littéraire. Cette loi troublait les directeurs de théâtre de province dans leur usurpation séculaire ; ils protestèrent violemment, et Gudin de la Brenellerie les compare à cet Arabe qui se plaignit au cadi, parce que les pèlerins se réunissaient en caravane, ce qui empêchait les hordes du désert de les détrousser. La loi du 24 juillet 1793 consacra enfin les droits des auteurs.

J’ai parlé ici même de Talma et du salon politique de sa première femme ; je rappellerai seulement que ce salon libre penseur, républicain, ouvert aux députés girondins, aux écrivains, aux acteurs de talent, eut sa période brillante de 1791 jusqu’au milieu de 1793 ; que Julie Talma, ancienne danseuse double à l’Opéra, plus connue sous l’ancien régime comme hétaïre à la mode, formée par le vicomte de Ségur, avait, avant la Révolution, une maison agréable, où s’empressaient gens du monde et lettrés ; que, jusqu’à la fin, elle ne cessa de recevoir ses amis. Dans son enthousiasme, Benjamin Constant ose la comparer, pour la causerie et les lettres, à Mme de Sévigné. Après elle, ou en même temps, Louise Contat, Dazincourt, Montansier, Duchesnois, Mars, Firmin, continuent, non sans éclat, la tradition mondaine qui n’a pas cessé de compter des représentans, pour l’esprit importé ou exporté, pour les bonnes manières ; ils ont singulièrement rehaussé la gloire des comédiens. Ne pouvant les nommer tous, je choisirai quelques noms afin de grouper autour d’eux les traits, mots, anecdotes qui peignent une