Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Alors le Vent m’a dit : « Je suis là ! Je suis là !
Et c’est pour toi mon chant, pour toi, ma petite âme,
Ce chant passionné, si doux que nulle femme
N’eut le cœur mieux bercé quand l’amour lui parla. »

« Je suis là ! je suis là ! m’a répété la Pluie.
Gai ! mes petits doigts gais frappent à ton carreau.
Je sais les contes longs des Brumes et de l’Eau…
J’en sais, j’en sais, j’en sais !… Est-ce que je t’ennuie ? »

Et le Brouillard m’a dit : « D’impalpables toisons
Je t’envelopperai blottie en mon grand rêve.
Dors, les plantes d’hiver ne sentent plus leur sève ;
Dors, je te cacherai les lampes des maisons. »

Mes pauvres compagnons, comprenez mieux ma peine.
Dormir ? J’ai travaillé du matin jusqu’au soir ;
Ma quenouille est au bout de sa laine ; il fait noir,
Et ma maison devrait de mon œuvre être pleine ;

Mais tout ce que j’ai fait je ne le trouve plus.
Les arbres ont donné leurs fruits et les oiselles
Sous leur aile ont couvé d’autres petites ailes,
L’herbe folle a semé l’herbe sur les talus,

La bête a dans son trou des petits à défendre
Et moi seule je suis telle que le désert
Vide, brûlant, sans route, à tous les vents ouvert,
Qui n’a jamais produit que nuages, que cendre.

Alors le Ciel m’a dit : « Les nuages s’en vont
Sans savoir où, transis, vagabonds, solitaires,
Mais ils font en pleurant germer en bas les terres
Et colorent les fleurs que les rosiers auront. »

Et la Terre m’a dit : « Va, ma petite fière,
Pour besogner encore il nous reste du temps.
Apporte-moi ton cœur… Je t’attends ! Je t’attends !
Et nous travaillerons ensemble à ma poussière. »