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Ils sont très sérieux, ces avantages, et la Chambre les voterait quand même elle repousserait tout le reste ; mais nous doutons fort que le pays les voie du même œil qu’elle, et encore plus que le Sénat y donne jamais son adhésion, car il ne pourrait le faire sans porter atteinte à sa propre raison d’être. Notre Constitution est une œuvre d’ensemble : si on en détache un détail et si on l’examine exclusivement, on s’expose à n’y rien comprendre. Dans une constitution où il n’y aurait qu’une Chambre, cette Chambre, sous peine d’être exposée à des soubresauts dont le pays serait la première victime, devrait être renouvelée partiellement : ce serait le seul moyen de maintenir dans le fonctionnement des institutions une certaine stabilité. Mais une constitution de ce genre serait une œuvre rudimentaire et grossière : elle priverait le pays du droit qu’il a de faire entendre, à certains intervalles réguliers, sa volonté tout entière ; c’est se défier de lui que de lui enlever l’exercice de ce droit. Cette défiance serait chez nous particulièrement injuste. Le pays, en effet, a-t-il abusé de ce droit que nous entendons lui maintenir ? Non, certes. Les élections plénières qui s’y sont produites depuis trente-cinq ans tous les quatre ans n’ont jamais eu un caractère révolutionnaire : on pourrait plutôt se plaindre de leur caractère routinier. Mais, dit-on, le contraire peut arriver. Soit : il faut prévoir toutes les hypothèses ; le pays peut être emporté un jour par un courant trop violent : alors le Sénat entre en scène, et, tout en respectant la volonté du pays, il en modère l’application et sert de frein. Se renouvelant partiellement tous les trois ans, il représente la permanence autant qu’elle peut être représentée dans une république ; mais, justement pour ce motif, il permet à la Chambre des députés de représenter autre chose, c’est-à-dire la volonté intégrale du pays à un moment donné. Dans une constitution bien faite, ces choses diverses, parfois opposées, également légitimes, également nécessaires, trouvent leur place, se tempèrent et se complètent l’une par l’autre. Si la Chambre était renouvelée partiellement, le pays ne pourrait jamais dire que le tiers de sa pensée, et s’il n’en avait dit que le tiers aux élections dernières, qu’en serait-il resté ? L’oscillation de l’aiguille politique aurait été trop faible pour qu’on en eût tenu compte : la volonté vraie du pays n’aurait pas été respectée parce qu’elle n’aurait pas eu le moyen de s’exprimer tout entière. Est-ce là ce qu’on veut ? Non assurément ; mais alors, il faut renoncer au renouvellement partiel pour la Chambre des députés. Cette réforme ne peut plaire qu’à ceux qui se complaisent dans les assemblées stagnantes, faites à l’image des mares stagnantes du