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politiques libéraux ou conservateurs, et il les encourage mollement dans la lutte où ils se sont engagés. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà dit plusieurs fois des dernières élections : elles ont ressemblé à ces duels où des balles sont échangées sans résultat. Le pays s’est divisé en deux fractions qui se sont fait équilibre ; aucun courant ne l’a entraîné dans un sens déterminé, et personne n’a pu s’attribuer une victoire décisive ; les libéraux ont perdu beaucoup de terrain, mais les conservateurs n’en ont pas assez gagné, et on a compris tout de suite que, si les deux partis persévéraient dans leur intransigeance, tout serait à recommencer. C’est précisément ce dont le pays ne veut pas, au moins de sitôt. Il n’attache pas assez d’importance à l’enjeu qui est en cause pour accepter de bon gré une nouvelle perturbation dans son activité laborieuse. Les premières élections lui ont coûté cher : et ici nous ne parlons pas seulement de tout l’argent qui a été jeté et dépensé sur le champ de bataille, mais les affaires ont été suspendues pendant six semaines ou deux mois, et c’est là une perte pour tout le monde. Après les élections, les affaires ont repris ; elles étaient en plein développement lorsque la mort du Roi les a ralenties de nouveau. Elles ont repris une fois de plus, et on compte sur leur prospérité pour réparer les brèches du budget. Il est dès lors facile de comprendre pourquoi l’idée de repasser par les épreuves dont on vient à peine de sortir provoque partout un mouvement de révolte. Les hommes politiques, même les plus ardens, les plus violens et, si on nous permet le mot, les plus enragés sont bien obligés d’en tenir compte. Ils sentent que, s’ils continuent de marcher, ils ne seront pas suivis ; ils le seront encore moins qu’hier où ils l’ont été mollement, et le pays sera sévère pour ceux dont on pourra dire qu’ils ont poussé à la reprise immédiate des hostilités. Aussi, entre les deux partis, s’en est-il formé un troisième composé des hommes les plus, sensés de l’un et de l’autre, qui cherche un terrain de conciliation et de transaction. S’ils le trouvent, le pays s’y ralliera certainement. N’est-ce pas ainsi que se terminent d’habitude les crises anglaises dont l’état paraît le plus désespéré ? Le pays intervient, ou même, plus simplement, il s’abstient ; il s’abstient de politique et se remet au travail ; alors les politiciens de profession comprennent et ils agissent en conséquence.

Il semble bien qu’un phénomène de ce genre soit sur le point de se produire en Angleterre et, s’il se produit en effet, nous y applaudirons de tout cœur. Toutefois il ne faut pas se faire d’illusions sur la difficulté de l’œuvre entreprise. Elle aboutira si elle se présente