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enchantés « des infâmes plaisirs. » Ses fantaisies bibliques laissent percer l’invincible dégoût de l’irrésistible désir charnel. Tantôt il soupire vers le trône où siège Salomon, « sombre et royal comme la nuit. » Tantôt il écoute entre Adam et Eve un dialogue d’où s’exhale, comme d’un fumier remué, le relent de cette haine sexuelle que le remords d’une déchéance morale fait surgir du péché d’amour. Adam dit à Eve : « Chienne vile et vicieuse, je ne veux plus travailler pour toi qui m’appris à pécher. Ta beauté m’a ravalé au rang des bêtes… » Et Eve lui répond : « Tu me hais, mais tu n’oses briser le vase où se désaltère ton désir… Tu as soif de mon corps, et c’est pour cela que tu me lèches la main. » C’est en vain que le poète, toujours assailli du souvenir de ses débauches, s’écrie : « Pardonnons-nous seulement nous-mêmes, et nous serons quittes des tortures ! Ne creusons plus dans nos vieux péchés et dans nos hontes. » En vain, sa muse, folle de son corps, jette à la Nature toujours belle, toujours sainte, un hymne d’une telle audace qu’on traduit devant les tribunaux ce Lucrèce ivre. Il ne peut se pardonner, et il sait que, même acquitté par le jury, la beauté lyrique de ses priapées ne l’absoudra pas à ses propres yeux. Il voit l’Enfer ; il entend des voix gémir et mendier une goutte d’eau. Le Seigneur lui apparaît, chaud de colère. Tout périt où regarde son œil ; la terre est dévastée où son pied s’appuie, et les champs sont écorchés qu’a foulés sa semelle. « Mon âme était une puissante ville de pierre où le peuple, en une nuit d’orgie, courait avec des rires enroués au grondement du tonnerre et aux lueurs des éclairs. J’étais Bélial et je disais : Je veux rester éternellement une bête et boire et pécher jusqu’à la fin du monde. Mais le Seigneur a crié : Tombe ! O Seigneur, ta main est forte et rapide. Seigneur, à toi la gloire ! Cesse de frapper ! Fais grâce ! Mais la voix reprit : Maudit, va vers le feu et vers les tortures de la vallée de Hinnon d’où nul ne s’échappe ! Alors je me levai et je lui renvoyai ses malédictions : C’est toi qui m’as fait Bélial ! C’est toi qui as créé le monde ; c’est toi qui as créé le bien et le mal qui sont en moi ; et, si tu commandes le feu pour le mal, viens te précipiter toi-même dans ton Hinnon, et brûlons ensemble ! »

Inutile blasphème ! Le bien était en lui, et c’est pour cela qu’il pleure. « Mon étoile valait pourtant quelque chose, malgré ses taches et sa faible lumière… » Ce faune aux pieds de bouc