Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aime la pureté. Ses derniers recueils, Gouttes tombées du Graal et Questions sans réponse sur le Bien et le Mal, incohérens et lugubres, ont encore des coins de mélancolie délicate où la pensée se pose comme sur un reste de clairière dans une forêt brûlée. « J’achetais mes amours avec de l’argent. Je n’en avais pas d’autres à trouver. Chantez bellement, cordes qui tremblez et grincez, chantez bellement l’amour ! Le rêve qui ne s’est jamais réalisé, il était tout de même beau de l’avoir rêvé. Pour celui qui est chassé de l’Éden, l’Eden est pourtant un Eden !… » Et ce cri déchirant : « Que serai-je après la mort ? Chargé de péchés et abîmé dans le royaume infernal ? »

Comparez maintenant à ces tressaillemens d’angoisse, à cette agonie où l’homme se raidit, se révolte, discute avec lui-même et avec Dieu, épluche d’une main tâtonnante les raisons de son salut ou de sa damnation ; comparez, dis-je, l’humilité des repentirs de Villon, — son besoin de faire intercéder près de Dieu, pour la rémission de ses péchés, la Vierge qui fut secourable à Marie l’Egyptienne, — son sentiment qu’il est comme un petit enfant, criminel, mais pardonnable, dans les mains d’une puissance redoutable, mais non pas inflexible. Et si vous arguez de la foi périmée du moyen âge, rapprochez de Froding Verlaine, cet autre ribaud qui, comme lui, fut hospitalisé dans l’asile des pauvres, et qui aurait pu s’écrier, comme lui : « Je ne suis qu’une fosse avec des braises éteintes de désirs consumés sans flamme ; mon haleine brûlante empeste l’alcool. » Verlaine, qui a maudit aussi l’amour sensuel, « cette chose cruelle, » n’en est plus à compter les chutes de son cœur. Mais il aime Dieu, il tend vers lui « sans détour subtil. » Et soudain, son visage est baigné des larmes d’une joie extraordinaire et déraisonnable. La voix qu’il entend lui fait du bien et du mal à la fois.


Et le bien et le mal, tout a les mêmes charmes.
J’ai l’extase, et j’ai la terreur d’être choisi.
Je suis indigne, mais je sais votre clémence…
Et j’aspire en tremblant.
— Pauvre âme, c’est cela !


Cette comparaison de Fröding et de Verlaine vous fera mieux comprendre, en même temps que la différence des deux conceptions religieuses, la possession des âmes du Nord par cette Bible, dont je distingue les feuillets noircis et les bords tordus dans l’incendie qui dévore la raison du poète suédois.