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l’idée de la mort que d’horreur à la pensée qu’une chevauchée infernale galope sur leur tête. « Quelques-uns debout s’appuyaient au mur ; d’autres s’étaient affaissés sur les bancs ; la plupart agenouillés priaient anxieusement. Les heures s’écoulaient : on descendait en soi-même ; on sondait son âme ; chacun se disait : « Ceci est arrivé sur nous à cause de mes propres péchés. » Et l’on prenait la résolution de mener une vie nouvelle. »

Admirable scène, et si vraie ! Beaucoup de réveils religieux sont ainsi provoqués dans la Suède moderne, comme aux temps du moyen âge, par d’effrayans prestiges de la Nature, ou par des disettes ou par des morts subites. En 1850, sous les forêts du Vermland, autour des lacs de Fryken, la pauvreté de la population, encore accrue par les mauvaises récoltes, avait mis de l’angoisse dans toutes les poitrines. On tremblait de repentir. On cherchait le moyen de se réconcilier avec Dieu. Les montagnes qui se dressaient semblaient moins hautes et moins opprimantes que l’entassement des péchés. Les enfans devenaient visionnaires. Ils voyaient des anges partout. « Faites attention, s’écriaient-ils ; ne marchez pas sur eux ! » Des jeunes femmes prophétisaient. Le soir, on se réunissait au creux de la vallée dans l’attente fiévreuse d’une révélation. Des milliers d’étoiles filantes pleuvaient du ciel ; à l’orée des bois, les yeux dilatés apercevaient des anges.

Vers le même temps, une contrée voisine, le Nerike, eut l’imagination frappée par un incident bizarre. Le jeu, la danse, la ripaille et la boisson y faisaient rage. Un soir que dans une ferme, — et toujours sous les bois, — les ménétriers menaient la ronde autour d’une marmite où brûlaient quarante-cinq litres d’eau-de-vie, un homme entra qu’on ne connaissait point. Il saisit par la taille une belle et robuste fille et l’entraîna parmi les danseurs. (Rappelez-vous la scène des Maîtres Sonneurs, et le bal effréné qui s’arrête aux sons de l’Angelus. Ah ! mon cher pays de France, que ton air me paraît brillant et léger ! ) Cependant les couples, l’un après l’autre, s’essoufflaient ; mais l’inconnu et sa danseuse continuaient de tourner. Tout à coup, la jeune fille soupire et tombe morte. L’homme s’éloigne précipitamment. Les assistans, jeunes et vieux, poussèrent des cris d’horreur et se sauvèrent en s’arrachant les cheveux, en déchirant leurs vêtemens, et en implorant la miséricorde divine. « Ce fut ainsi, nous dit Ekman, que l’esprit des Crieurs entra dans le Nerike. »