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sermons étaient tout à coup interrompus par des cris, dont il nous explique lui-même la provenance, « cris d’angoisse, si l’éclair de la loi du Sinaï frappe un cœur endurci ; cris de joie, si un rayon de l’Évangile touche un cœur contrit. » Et il ajoute : « Il faut qu’ils s’expriment par des cris, sinon leurs cœurs se briseraient. Le silence de mort dans l’Église n’est que le silence de la mort spirituelle. » On ne se contentait pas toujours de crier : on se levait, on s’embrassait, on dansait jusqu’à tomber en syncope. Il semble que Lœstadius ait été quelquefois effrayé du déchaînement de cette vie religieuse. « Partout où il y a des réveillés, ils m’embrassent, ils s’accrochent à mon cou, ils me regardent comme l’origine de leur béatitude et confondent la cause avec l’instrument. Je leur ai souvent fait observer que cet amour de ma personne est une espèce d’idolâtrie. » Et il semble aussi, — ce qui est plus douloureux, — qu’il ait envié la sainte frénésie dont sa parole embrasait les autres. « Pendant que, sur les ailes de la foi, ils s’élèvent très haut au-dessus de la terre, moi, avec ma grande raison et mon cœur insensible, je reste là comme un bouc en bois et je ne puis répondre à leurs effusions. » Voilà le drame psychologique : l’évangéliste dépassé dans sa foi par la foi de ses néophytes ; le foyer primitif jaloux des flammes qu’il a communiquées et qui sont devenues plus ardentes que les siennes.

Toute une doctrine sortait de sa prédication, dont les traits principaux soulignent la fréquente contradiction entre l’esprit protestant et l’obscure tendance catholique de ces croyans du Nord, enfermés dans l’enfer de leur volonté propre. Nécessité de la confession, qui empêche le péché de pourrir dans l’âme du pécheur ; confession d’abord devant plusieurs membres de la communauté ; plus tard, devant un seul. Pendant que j’étais en Laponie, on me montra une domestique Lœstadienne qui faisait une fois par mois vingt-cinq lieues pour aller se confesser à une autre Lœstadienne. Sans l’absolution, nous resterions sous le jugement de Dieu. Mais, du moment que le pardon de nos péchés nous est assuré, nous n’avons qu’à détourner les yeux de nous-mêmes et à les fixer sur la croix : il nous est impossible alors de mener une mauvaise vie. La grâce divine est à quiconque dit : Je crois. Ne nous embarrassons pas de longs repentirs. Inutile de nous absorber en prières. Ce sont « les chrétiens de l’Eglise » qui prient un Dieu muet derrière les nuages. Dieu