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vie. Quelques mots et quelques notes, çà et là, des accens et des mouvemens, des intonations et des inflexions ne sont ni sans justesse ni sans pathétique énergie. Après quinze ou vingt ans, nous avons retrouvé ces touches, ou ces taches, encore fraîches, un peu trop peut-être, et comme saignantes : c’est la Sicilienne du début, âpre, douloureuse et vraiment populaire ; c’est la plainte et le reproche de Santuzza, la délaissée, contant sa misère à « mamma Lucia, » la mère de son infidèle ; au dernier moment, avant le duel au couteau, c’est l’adieu filial et le sanglot de Turridù, où, dans une dramatique équivoque, le trouble de l’ivresse feinte se mêle à l’angoisse réelle et profonde, qui se maîtrise et se cache, de l’affreux péril de mort.

Mais ce qu’il y eut de plus beau cette fois-ci dans l’histoire de la pauvre Santuzza, c’est Santuzza elle-même. On répétait, un après-midi de dimanche. Répétition « de travail, » dans le décor, mais sans les costumes, à mezza voce, devant la salle obscure et presque vide. J’ignorais jusqu’au nom des artistes que j’allais entendre. L’héroïne parut. Vous savez en quel état : objet de scandale et d’anathème, exclue de l’église où les cloches de Pâques appellent tout son village aujourd’hui. Elle parut, sans le moindre arrangement de costume ou de visage. A peine un linge blanc sur ses cheveux imitait la coiffure classique des femmes de l’Italie méridionale. Mais dès ses premiers pas, dès ses premiers gestes, aux premiers mots, aux premières notes de sa voix, une artiste s’était trahie. Il avait suffi de cette faiblesse et de cette honte, de ces yeux rougis et de cette lèvre tombante, de ce visage, de ces bras, de tout ce pauvre corps affaissé sur les genoux et tendu vers l’église interdite… Comme je m’informais, avec étonnement, on me nomma Mme Olive Fremstad et, la connaissant de nom, je ne m’étonnai plus. Il faut, assure-t-on, l’entendre autrement, c’est-à-dire en d’autres rôles, par exemple celui d’Iseult, et l’entendre tout entière, avec l’appareil et l’apprêt d’une représentation véritable. Je le crois ; mais j’estime aussi que le plaisir n’est pas moindre, de surprendre un talent comme celui-là dans sa nature même, dans sa plus simple et sa plus libre réalité.

C’est une question de savoir, — et nous ne la traiterons pas, — s’il y a plus loin du Trovatore, de la Traviata et de Rigoletto à Aida, que d’Aida, même à Otello et à Falstaff. S’il est possible également de distinguer trois manières — au moins — de Verdi, nous nous abstiendrons de les définir ainsi que vous savez et qu’on fait quelquefois : la première où l’artiste se cherche ; la seconde où il se trouve, et la troisième où il se surpasse. Et pourtant, sous la stupidité de cette triple