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— mais ils se révoltent contre un gouvernement qui se refuse à être l’instrument de leurs passions, de leurs rancunes, de leurs appétits, et annonce qu’il gouvernera pour le pays tout entier. Quand M. le président du Conseil a émis cette prétention, M. Berteaux s’est senti atteint et a demandé la parole. Gouverner pour le pays, c’est-à-dire pour tout le monde ; n’avoir qu’une justice, la même pour tous ; distribuer la manne administrative avec impartialité, avec équité, comme un bien commun et non pas comme la proie d’un parti, c’est un changement profond dans nos mœurs politiques, et presque une révolution. Cette révolution, M. Briand est décidé à l’opérer. Les centres, la droite l’ont applaudi avec chaleur ; les radicaux socialistes ont fait entendre des rumeurs de mécontentement à demi étouffés. M. Briand ne s’est laissé détourner de sa voie, ni par l’approbation des uns, ni par les réticences des autres. — Le moment des grandes luttes pour la fondation et la défense de la République est passé, a-t-il dit. Dans la lutte pour l’existence on ne mesure pas ses coups. Si j’avais eu à y prendre part, je n’aurais pas mesuré les miens. C’est le passé : aujourd’hui que la victoire est acquise, définitive et sans retour, ceux qui l’ont remportée ont des devoirs nouveaux. Leur force même les leur impose ; mais, en vertu de la vitesse acquise et de l’habitude prise, ils continuent au pouvoir leurs gestes d’opposition. Il appartient donc au gouvernement de se dresser au-devant d’eux et de leur dire : Assez ! N’allez pas plus loin ! — Les radicaux socialistes n’avaient pas encore entendu un pareil langage. Ils n’aiment pas qu’on leur crie : Assez ! Ils protestent quand on leur demande de ne pas aller plus loin ! Aussi fallait-il voir leurs figures pendant que M. le président du Conseil parlait : le dogue auquel on arrache un os de la bouche peut en donner une idée. Mais M. Briand, impassible, poursuivait son discours et l’achevait en disant : — Voilà dans quel esprit je me propose de gouverner. Si ce n’est pas le vôtre, votez contre moi. Je ne veux de votre confiance que si elle est pleine et entière : tout ou rien !

Un pareil discours est un acte, et un acte si grave que nous aurions mauvaise grâce à nous arrêter, pour les éplucher et les critiquer, aux détails du programme ministériel. Évidemment, nous ne serons pas d’accord avec le ministère sur tous les points ; personne ne le sera, chacun conservera sa liberté de jugement ; mais MI. Briand la laisse à tout le monde et il a déclaré que, sur aucun des projets de loi qu’il s’apprête à déposer, il ne serait intransigeant. Les principes une fois énoncés et acceptés, on peut concevoir des procédés d’exécution divers