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vue de projets politiques auxquels on n’avait pas encore renoncé[1].

On se contenta donc, d’abord, de mettre Jeanne à l’abri. On fit la sourde oreille aux premières propositions qui vinrent de Paris, de Rouen. Plus tard, l’évêque de Beauvais, Cauchon, vint nu camp de Compiègne. Il insista, auprès de Jean de Luxembourg, en présence du Duc de Bourgogne et de son chancelier Rollin, pour que la Pucelle lui fût remise. Mais, on reconduisit. Ce ne sont pas de ces choses qui se décident à l’esbrouffe. (Procès, I, p. 14, 15 ; IV, 263 ; V, 194.)

Jeanne fut enfermée, d’abord, dans le château de Beaulieu-le-Comte ou Beaulieu-les-Fontaines, non loin de Compiègne, où il y avait un donjon de cinquante mètres de hauteur. Peu s’en fallut qu’elle ne s’évadât. Jean de Luxembourg, pour plus de sûreté, la fit mener au château où il faisait sa résidence, sur la frontière de la Picardie et du Cambrésis, en pleine domination bourguignonne, à Beau revoir.

… Beaurevoir ! ce sont les souvenirs les plus lointains de mon enfance. J’ai vu les restes d’une muraille épaisse, dernier vestige du donjon formidable où Jeanne passa de longs mois. Combien de fois, à la clarté d’un lumignon, me suis-je aventuré dans les souterrains en arceaux d’ogive où la vie terrifiée de nos pères est comme tremblante encore. Le nom de la Pucelle reste dans les mémoires ; sa légende est partout. De la longue histoire tragique de ces pays, jadis couverts de forêts et où les mœurs restent énergiques et résistantes, c’est le seul souvenir précis qui demeure. Pour ces cœurs patriotes, martelés par le travail séculaire de la frontière, la figure de Jeanne est celle de la pairie. On raconte, qu’après sa chute, elle se traîna, les reins brisés, jusqu’à une tour de guette, assez éloignée du château, et qui a gardé le nom de Follemprise…

A Beaurevoir, Jeanne fut reçue par les « dames » de la famille de Jean de Luxembourg. La femme de Jean de Luxembourg, Jeanne de Béthune, avait des tendances françaises ; sa tante, Jeanne de Luxembourg, une vieille demoiselle, propre

  1. Le Duc de Bourgogne mettait en demeure, dans des termes péremptoires, le gouvernement anglais de faire les sacrifices nécessaires pour venir à bout des affaires de France, aussitôt après l’échec de Compiègne. Évidemment il se ménage une retraite ou un moyen, de pression : « Et, au regard de moy, de ma part, je vous en avise et averti et votre Conseil, pour ma décharge et acquit. » Voyez les pièces publiées dans Stevenson. Letters and Papers… (vol. II, part I, p. 165).