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beaucoup plus qu’une jacquerie[1]. Le peuple s’insurgea, comme sur un coup de sifflet, contre une aristocratie violente, rapace et absentéiste. L’ordre féodal fut attaqué. Les paysans marchèrent en masse, notamment dans les comtés du Sud, mais ils n’étaient pas seuls : les artisans et les bourgeois marchaient avec eux. Wat Tyler, le Tuilier, vétéran des guerres de France, était un des chefs de l’insurrection. « Jack le Meunier » chantait : « Nous avons la force et le bon droit ; nous avons adresse et volonté ; que la force aide le droit : ainsi notre moulin tournera bien. » On répétait le fameux refrain :


Quand Adam bêchait et Eve filait,
Où donc était le gentilhomme ?


Toute l’aristocratie trembla. Richard II n’apaisa l’insurrection qu’en lui faisant des concessions et en allant vers elle.

L’insurrection des paysans, l’hérésie des Lollards furent les événemens qui provoquèrent, directement ou indirectement, l’avènement de la dynastie des Lancastre. Richard II fut débordé. L’aristocratie lui reprochait son esprit inconsistant et ses tendances françaises. Elle réclamait une politique plus énergique au dedans et au dehors. En fait, elle avait soif de vengeance, de sécurité et d’action.

Un homme hardi se leva dans la famille royale, fit glisser du trône le roi Richard, avec des égards infinis, et, non sans remords pathétiques, prit sa place.

Le coup réussit, grâce au concours dévoué de l’aristocratie : mais il n’en parut pas moins odieux. Le Roi et le peuple étaient victimes en même temps. La nouvelle famille régnante se trouvait, par son succès même, condamnée au succès, ne pouvant avoir d’autre ressource ni d’autre justification. Image de cette aristocratie brutale et sanguinaire qui l’avait portée au pouvoir, elle sentait peser sur elle la malédiction de l’évêque de Carlisle : « Si vous couronnez le nouveau roi, écoutez ma prophétie : le sang des Anglais engraissera la terre et les siècles futurs gémiront pour cet acte indigne ; dans ce royaume, séjour de la paix, les guerres tumultueuses mettront aux prises alliés contre alliés et parens contre parens ; le désordre, l’horreur, la terreur, la révolte habiteront ici et cette terre sera nommée le

  1. Voyez l’ouvrage de MM. André Reville et Petit-Dutaillis, le Soulèvement des travailleurs d’Angleterre, en 1381. Paris, 1898, in-8.