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largeur dans les vues, plus de chaleur au cœur. Mais les conditions de son existence le diminuent et le rabaissent. Son attitude habituelle est la réserve. Il écoute ; il ménage tout le monde. Sa devise dit, s’adressant à sa femme, la vindicative bourguignonne : « A vous entier ! » Ainsi aux autres. Il écoute son oncle, le Winchester, il écoute sa famille, toujours divisée ; il écoute ce damné et embarrassant Gloucester ; il se donne à cette foule de grands seigneurs qui l’entourent, le harcèlent, usent son temps, sa prudence, sa patience, esclave de leurs ingérences dangereuses ou encombrantes. Il est, par excellence, l’oncle, le tuteur, l’homme qui administre sans plaisir et sans profit, et qu’on éconduit, à la fin, sans remerciemens ; chef qui ne commande qu’en obéissant, régulateur qui ne résiste qu’en pliant.

Il comprend et il devine ; mais il est condamné au silence, sous peine de tout compromettre. Par un mot qu’il laissa échapper lors du siège d’Orléans, il froissa, pour toujours, le Duc de Bourgogne et décida peut-être, ainsi, de la première victoire de Jeanne d’Arc, mère de toutes les autres victoires françaises. Aussi a-t-il voué à la Pucelle une haine mortelle. Il déteste, en elle, ce qu’il y a de plus odieux, pour les gens d’action qui échouent, l’obstacle. Il la lit brûler, mais ne rattrapa pas son mot sur les « oisillons. » Sa faute se développa devant lui, avec toutes ses conséquences, jusqu’à la paix d’Arras. Il périt de cela (car ces hommes intelligens se rongent), frappé au cœur, le lendemain du traité, en septembre 1435, dans ce même château de Bouvreuil, où Jeanne d’Arc avait été enfermée.

On a un portrait de lui, agenouillé devant son patron, saint Georges : le front fuyant, le regard voilé, les lèvres sensuelles et grasses, je ne sais quel aspect arrondi, doucereux et ecclésiastique, qui n’est démenti que par la saillie du nez brusque et volontaire. C’est un homme qui eût aimé l’ordre, les choses bien conduites, et que la discorde et l’anarchie poursuivirent ; l’ambiguïté l’emprisonna toujours en ses cercles obscurs. « Second » malheureux, il eût été, sans doute, un « premier » victorieux. Il s’intitulait, lui-même, dans les chartes : « Jean, fils, frère et oncle de rois, duc de Bedford : Johannes filius, frater et avunculus regum ; sa destinée fut d’être en tangente dans la vie et dans l’histoire : c’est le collatéral,

Auprès de ces hauts personnages, chefs reconnus de l’aristocratie anglaise, faut-il nommer les comparses qui sont encore