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des belles armures, des vêtemens somptueux et des titres de-noblesse dont on lui fait litière, elle revient rôder autour de Paris rompant les desseins du cher Duc de Bourgogne sur Compiègne. Cette fois, elle est prise.

La nouvelle de la capture de Jeanne d’Arc arrive à Paris le 25 au matin. Aussitôt, c’est-à-dire le lendemain 26, le greffier de l’Université écrit, au nom et sous le sceau de l’Inquisiteur de France, une sommation au Duc de Bourgogne « d’avoir à remettre la Pucelle ès mains de la justice de l’Eglise pour lui faire son procès deuement sur les idolâtries et autres matières touchant nostre saincte foy et les escandes réparer à l’occasion d’elle survenues en ce royaume[1]. » L’idée mère est là. Tout en découle.

Pierre Cauchon est un ancien recteur de l’Université ; il lui appartient jusque dans les moelles. Évêque de Beau vais, il prétend pouvoir réclamer la Pucelle, comme prise sur le territoire de son diocèse[2]. D’autre part, quelques jours avant la capture de la Pucelle, par lettres datées de Calais, du 14 mai 1430[3], il a été confirmé en son office de conseiller du roi

  1. Procès (I, p. 9) et Quicherat, Aperçus nouveaux (p. 95).
  2. La compétence de Cauchon, même comme évêque de Beauvais, est niée au jugement de réhabilitation (Procès, III, 282).
  3. Un voyage de Cauchon à Calais est visé dans un reçu de 765 livres tournois que l’évêque touche comme rétribution d’un travail exceptionnel de cinq mois consacrés par lui aux affaires de la Pucelle, à partir du 1er mai jusqu’à la fin de septembre. Ce voyage à Calais mérite d’attirer l’attention : Jeanne était à Compiègne à partir des derniers jours d’avril. Compiègne n’est pas loin de Beauvais-Cauchon, comme évêque, a gardé des attaches dans tout le pays. A Compiègne même, il a des agens, comme l’abbé de Saint-Corneille. Jeanne d’Arc avait les plus grandes inquiétudes au sujet du rôle de ces « Bourguignons » de Compiègne ; elle annonçait qu’elle serait trahie ; des vieillards de Compiègne en ont témoigné devant Alain Bouchard, qui le raconte dans ses Chroniques de Bretagne (f° CCLXXI I°). Elle devinait, elle sentait qu’il se tramait quelque chose autour d’elle. Il n’est pas impossible que Cauchon ait porté à Calais, au moment où Henri VI venait d’y arriver, 23 avril 1430, des nouvelles précises au sujet de quelque complot en voie de formation à Compiègne pour livrer la Pucelle. L’histoire, par un scrupule peut-être excessif, a ménagé Guillaume de Flavy, qui, certainement, est l’agent de La Trémoïlle et, en tous cas, le demi-frère de Regnault de Chartres. Il ne faut pas oublier que des témoignages dignes de foi, comme celui de « l’abréviateur du Procès, » affirment que Jeanne d’Arc était contraire au projet de la sortie où elle fut prise. Cauchon aurait pu apporter ces bonnes nouvelles à Calais, dès les premiers jours de mai, ce qui expliquerait la confirmation des fonctions de conseiller à cette date avec un traitement de 1000 livres tournois, sans compter le cadeau ultérieur de 765 livres tournois pour avoir, comme il le dit lui-même, « vaqué au service du Roi, tant en la ville de Calais comme en plusieurs voyages en allant devers Monseigneur le Duc de Bourgogne et devers messire de Luxembourg, comte de Guise, en Flandres, au siège de Compiengne, à Beaurevoir,… Et aussy en la ville de Rouen pour le fait de Jehanne que londit la Pucelle. » O’Reilly I, 39-40). La quittance est dans Procès (t. V, p. 194).