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« Toutes voies, c’est nostre entencion de ravoir et reprendre par devers nous icelle Jehanne, se ainsi estoit qu’elle ne fust convaincue ou actainte des cas dessusdiz ou d’aulcuns d’eux ou d’autres touchans ou regardans à nostre dicte foy… » (Procès, t. V, p. 19.) Voilà qui est bâti à chaux et sable. La Pucelle, livrée, ne pourra échapper à la mort : en justice ou hors justice, elle périra.

Il n’y a plus qu’une difficulté : l’évêque de Beauvais, étant éloigné de son diocèse, ne peut juger sur le territoire d’un autre diocèse. Qu’à cela ne tienne ! Le chapitre de Rouen gère les affaires pendant la vacance du siège épiscopal : ce n’est pas en vain que le duc de Bedford la honoré de son illustre confraternité : par lettres du 28 décembre, le dit chapitre accorde la « concession de territoire » au profit de l’évêque de Beauvais, pour qu’il puisse procéder au jugement de la Pucelle. Enfin, le 3 janvier 1431, une lettre de Henri VI ordonne que Jeanne soit remise à l’évêque de Beauvais, pour être par lui procédé au jugement.

Pour aboutir à ce résultat, il a fallu sept mois ; sept mois pendant lesquels des corps nombreux et bruyans, des juridictions diverses et dispersées sur différens points du royaume, les chancelleries, les cours, les armées, les peuples sont en agitation et aux écoutes. Les exploits de la Pucelle ont retenti dans toute la chrétienté. Le sentiment populaire la suit ; à Tours, à Orléans, à Blois, la nouvelle de sa capture fut un deuil public. Le sort de deux royaumes dépend de son sort. Il s’agit de l’honneur des princes et du soulagement des consciences. Cela se passe au grand jour… Et tout se tait. Les clercs hostiles ont seuls la parole. Ils agissent en pleine liberté. Ils se réunissent, délibèrent, opèrent. Cauchon va et vient, tend ses filets ; personne ne bouge.

De même qu’il a conclu, à sa volonté, le pacte avec les Anglais, il constitue le tribunal et décide de la procédure, à sa façon, avec ses amis de l’Université de Paris.

Jeanne sera jugée à Rouen.


Cauchon était allé à Beaurevoir quand la Pucelle y était prisonnière ; il l’avait vue, sans doute ; en tous cas, il avait interrogé sur elle les dames de Luxembourg. Il savait donc à qui il avait affaire. Ce n’était pas une petite fille qu’on materait en