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apparut, elle le tua avec son trisoul et mit tous les autres en fuite.

Pendant cette nuit de fête, une jeune princesse de la famille royale mourut d’une fièvre puerpérale. Dès la première heure du matin, on vint demander au Résident un passeport pour les Indes ; car des hommes devaient partir tout de suite pour Bénarès et porter au Gange un morceau détaché du crâne de la malheureuse. Elle avait dû être enlevée de son palais avant qu’elle n’eût rendu le dernier soupir, la coutume étant de transporter à Pashpati, au bord de la sainte Baghmati, les moribonds. Les malades sont couchés sur une pierre inclinée de manière que les pieds touchent l’eau et qu’un léger glissement suprême leur permette de mourir à demi baignés dans la rivière sacrée. Petit voyage et bain froid qui donnent toute assurance aux prévisions les plus pessimistes. La jeune princesse dut être brûlée le lendemain sur un bûcher semblable à celui que je vis préparer un jour pour un autre cadavre déposé sur la plus basse marche des ghats, enveloppé de ses laines blanches.


Il me reste à visiter la plus pittoresque des trois capitales du Népal, Patan. La ville est peuplée, dit-on, de 30, 40 ou 60 000 habitans, selon les diverses estimations. Ces chiffres varient comme ceux de la population totale ; il n’y a jamais eu de recensement, mais le Résident britannique titulaire, qui est au Népal depuis un certain nombre d’années, évalue la population du pays à cinq millions d’habitans.

Ce qui frappe le plus, en arrivant à Patan, c’est que toutes les maisons sont sculptées et coloriées de rouges et de bleus éteints qui, mêlés à l’or, composent un ensemble d’une harmonie parfaite. Les poutrelles des toits, les linteaux racontent de longues histoires. Une série de batailles sculptée sur la frise d’un ancien vihara, monastère situé dans une petite rue, m’a retenue longtemps. Le reste de la façade est décoré d’ouvrages de bois finement travaillés et finissant en franges qui tremblent au vent. Ailleurs, l’artiste a pris comme sujet de décoration de grandes chasses dont les panneaux forment un balcon évasé que clôt un moucharabié d’un dessin si charmant que l’Egypte n’en a jamais rêvé de semblable. Les châssis des fenêtres sont fouillés avec une fantaisie inouïe. Parfois, de petites lucarnes