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Indes ; le Tibet, en les adoptant pour monnaie, fera leur fortune.

Au XVIe siècle, un roi de Bhatgaon s’occupait lui aussi de musique, de danse et de théâtre, il composait des « opéras, » écrivait des « Commentaires sur les questions relatives à l’art dramatique, » traitait, bien avant Louis de Bavière, de « la quintessence des arts musicaux. » Un roi de Katmandou décidait les marchands et les artisans newaris à s’établir à Lassa et son ministre obtenait du Tibet qu’en cas de mort, leurs biens fissent retour au Népal. Tel autre établit des rites de purification pour les marchands qui reviennent du Tibet. Dans les trois royaumes, tous composent à l’envi des hymnes qu’on grave sur la pierre, des drames musicaux dont la prose est abandonnée à l’initiative de l’acteur ; au XVIIe siècle, Pratapa Malla, l’auteur de la fameuse inscription en quinze langues différentes du palais de Katmandou, s’intitule « Prince des Poètes, » sur ses inscriptions et ses monnaies. Partout les vertus et les gloires des souverains Malla sont racontées et vantées par eux ou leurs successeurs. La vie religieuse est intense, l’astrologie et les présages jouent un rôle prédominant, l’exaltation mystique crée les poètes, les artistes, les constructeurs ; les austérités çivaïques et les sacrifices sanglans succèdent aux désordres et les rois rivalisent d’émulation pour les plus belles fondations. Sous leurs ordres, les murailles des villes, les escaliers bordant les rivières et les lacs sacrés, les plus beaux temples et les plus magnifiques palais sortent de terre, créés par d’incomparables artisans.

C’est aux Newars que sont dus tous les beaux monumens du Népal, presque tous construits avant la conquête gourkha. Les Newars ont créé un art, ou plutôt, transformant celui des autres, ils l’ont marqué d’une originalité propre et d’un sens de la ligne assez rare. Quelles que soient les influences diverses qui se sont croisées ici, la pagode du Népal se rattache à l’architecture antérieure de l’Inde. Le type classique de la pagode népalaise aux toits superposés aurait en revanche, d’après M. Sylvain Lévi, servi de modèle aux Tibétains et aux Chinois et, par la Corée, serait parvenu au Japon ; il a fait la gloire de l’Extrême-Orient. Nulle part ailleurs qu’ici les proportions ne m’en sont apparues plus sobrement et plus délicatement ménagées.

Le P. Huc[1] affirme qu’on recherche les Newars jusqu’au

  1. P. Huc, Souvenir d’un voyage au Tibet, t. II, p. 207.