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intrigues, sans le fiel et sans le sucre de la comédie académique, c’est tout à fait bien ainsi. Et quelle joie pour madame votre grand’mère ! J’ai vécu des heures de souvenir en pensant à elle et à tout son exquis entourage de Rochefort et de Marennes. Que tout cela est loin et que c’était délicieux ! Et c’est fini ! Je n’ai certes pas oublié Loti cependant, ni madame votre mère, ni vous, ni rien de mes impressions de ce temps-là, et Dieu sait le plaisir très vif que j’aurais à vous revoir les uns et les autres et à revoir Rochefort et Marennes et les villages de l’île et les jardins fleuris appuyés aux murs blancs, et même les averses sur les grandes routes. Mais je sais bien qu’avec la meilleure volonté du monde de part et d’autre, cela n’arrivera plus. Et qu’y faire ? C’est la mélancolie de la vie. Et ce n’est pas moi qui aurai la force d’y rien changer.

Excusez, je vous prie, cette philosophie d’homme grippé. Elle doit dissoner certainement avec votre entrain de jeune ménage et je prie aussi M. D… de ne pas trop prendre au sérieux tout ce pessimisme que j’aurai tôt fait d’oublier en sa compagnie. Vous êtes très aimables tous les deux de vous souvenir de moi. Et moi je serais si heureux de me retrouver auprès de vous !

Veuillez agréer tous les deux l’expression de mes sentimens les plus affectueusement dévoués.


1891.

Chère madame et amie,

Quelle joie d’avoir de vos nouvelles ! J’en avais eu il y a un mois à Paris où le hasard m’a fait rencontrer M. Segond et vous pensez de qui nous avons parlé tout de suite. Et déjà alors je voulais vous écrire. Et savez-vous ce qui m’a arrêté ? Les indications à mettre sur l’adresse. Voyez quel nigaud est votre ami. J’ai prié Loti de m’instruire, puis madame votre mère. Et voilà comment à ma honte et à votre gloire d’amie, c’est vous qui m’avez devancé. Donc vous êtes bien là-bas ; vous y avez la santé et le rêve, la joie de M. D… Et le rire de vos Tototes et la magie des couchans. Et votre séjour ne durera pas assez pour que vous connaissiez l’envers des choses, la monotonie des soleils, l’écrasement de l’ardeur extérieure et le hâle fâcheux et le bâillement des chères petites et la nostalgie des averses. Et nous