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garder un peu, d’entendre trotter dans la maison et dans le jardin les pas menus des Tototes. Comme on va causer, comme on va se promener à travers les mélancolies attendrissantes de l’automne. Elles m’attendrissent cette année un peu plus que d’habitude et j’ai bien joui autrefois de cette concordance momentanée ; mais elle me pénètre davantage à mesure que je la sens presque définitive. Car c’est bien l’automne pour moi et son dépouillement et son silence où des plaintes vibrent. Et tantôt j’y cède, et tantôt je résiste. Vous me verrez en ce tourment que je vous raconterai peut-être plus en détail, si vous avez assez d’amitié pour moi pour l’écouter. La gravité de cet état, c’est qu’il m’empêche tout à fait de travailler et quand je ne travaille pas, je ne vaux pas grand’chose. Enfin je tâcherai de faire une toilette à mon âme avant que vous veniez, afin qu’elle ne vous désagrée pas trop. J’attends vos œillets. J’ai gardé d’Argelès une poignée de gentianes qui ne veulent pas mourir. Leur bleu un peu dur serait curieux à marier avec le rose pâle des œillets d’Hendaye.

A bientôt, chère amie. Croyez que j’apprécie comme il le mérite le cadeau royal de votre amitié.

Bien affectueusement à vous et aux Tototes.

E. P.


Paris, mai 1895.

Chère amie,

C’est pourtant vrai que je suis en faute et ma honte s’aggrave de ma bonne santé qui ne me laisse aucune excuse. Mais cette vie de Paris est si secouante, si pressée ! Pas une heure de halte, de repos du matin au soir, et le soir où on rentre la tête vide, ahuri et las, hors, d’état de penser et d’écrire. Ah ! qu’il valait mieux le train paisible et bien ordonné des journées de la Limoise, les longues causeries encadrées de ce décor suggestif de l’autrefois et les promenades dans le beau pays lumineux et calme comme une mer silencieuse où les bois de chênes verts flottent pareils à des îles habitées par le mystère.

Tout de ces trop brèves journées m’a laissé une impression ineffaçable. Et La Roche-Courbon et Saint-Porchaire et mes joies à conquérir la nouveauté des paysages et le silence du