Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour Fénelon[1]. Ne croyant ni à la demi-folie de Mme Guyon, ni à l’esprit d’utopie de Fénelon, ni à la raison lumineuse de Bossuet, n’admettant ni que la querelle entre Fénelon et Bossuet ait pu éclater sans préparation, ni qu’elle ait pu passionner l’opinion par le seul intérêt doctrinal, il s’avise de faire intervenir un complot. Que dis-je, un complot ? Ce sont bel et bien trois complots qui vont se rejoindre et aboutir à la condamnation des plus innocentes victimes. Premier complot, une intrigue de cour. Fénelon, Beauvilliers, Chevreuse, les deux duchesses, on en veut à ce petit groupe dont on jalouse l’influence. Il s’agit de créer autour de ce groupe une atmosphère de suspicion. Second complot, la guerre qu’une « obscure coalition » poursuit contre Mme Guyon. Troisième complot enfin, et c’est le plus vaste, le plus assuré de nuire : jansénistes contre jésuites. Pourquoi la querelle du quiétisme ne serait-elle pas simplement une des phases de la lutte qui se poursuivra longtemps encore entre Port-Royal et la Compagnie de Jésus ? Avec Mme de Maintenon les trois complots unifiés sortent du souterrain où ils se trament. « Alliée malgré elle, dupe et victime des conspirateurs anonymes, c’est à cette femme que revient la douteuse gloire d’avoir donné le branle au drame qui nous occupe. » Ainsi, opine l’apologiste de Fénelon, comme presque tous les drames, celui-ci se noue loin de la scène. Une force obscure met et remet inlassablement aux prises les deux protagonistes qui d’abord ne demandaient qu’à s’entendre. Désormais la roue tourne, prenant successivement et entraînant dans son engrenage Bossuet, Fénelon, acharnés à une besogne dont ils ne sont que les ouvriers inconsciens…

Si la théorie des trois complots n’a guère de chances de convaincre le lecteur jusqu’au jour où l’équipe de docteurs ès lettres et de juges d’instruction, à laquelle M. Brémond fait appel, en aura épuisé l’étude infinie, en revanche, il ne manquera pas de gens pour être mis en joie par l’espèce de portrait-charge que l’auteur s’est amusé à tracer de Bossuet. Dans un chapitre intitulé, sans doute par antiphrase, « le prestige de Bossuet, » l’homme, le directeur de conscience, le théologien sont accommodés de la belle manière. Maladroit, ne connaissant rien que ses livres, il ignore le monde et reste devant Versailles ébloui comme un provincial. Dépourvu de toute originalité, docile et resté l’homme de ses cahiers de Navarre, éloquent d’ailleurs, on dirait déjà Victor Cousin. Son bon sens équivaut à une horreur de

  1. Apologie pour Fénelon, par M. Henri Brémond, 1 vol. in-16, Perrin.