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toute curiosité intellectuelle. Sa candeur, à qui manque le sourire, cette candeur « un peu épaisse » est une vertu, de toute évidence, mais plus convenable aux simples de ce monde qu’aux docteurs de l’Eglise. Quoi encore ? Mais par exemple un goût immodéré des complimens et une humilité que ne dégoûtait pas le plus vulgaire encens. Et tout cela n’empêche pas que Bossuet ne soit sublime : il est sublime comme poète lyrique ; il est bien entendu que le lyrisme se définit « chaleur et tumulte, flamme et fumée ; » c’est un artiste prodigieux qui fait songer à Renan, mais qui le dépasse… Et, dans son Avant-propos, M. Brémond avait eu soin de nous avertir que son livre est consacré à la « défense de Bossuet… » Tout cela est évidemment égayé d’ironie ; on me permettra de me récuser devant ces jeux de l’ironie transcendante. La légèreté n’est tout à fait légère que dans les sujets légers ; et, en pareille matière, un peu de gravité ferait beaucoup mieux mon affaire.

Comme on le voit, la querelle entre bossuétistes et féneloniens n’est pas près de s’apaiser. C’est qu’elle met aux prises doux familles d’esprit : les traditionnels qui veulent avant tout le maintien de la religion, les novateurs qui veulent la rajeunir à toute force et à tout prix. Soit. Et je ne crois pas du tout que M. Brémond soit à son tour l’exécuteur, conscient ou non, d’un complot qui serait le quatrième ! Mais dans sa ferveur fénelonienne il a dépassé la mesure. Cette juste mesure, il semble bien que M. Lemaître s’y soit tenu, et c’est encore le plus grand mérite de son livre. Il n’est pas d’humeur à nourrir contre Fénelon cette sorte d’animosité personnelle que lui avait vouée un Crouslé ou Brunetière ; mais, si le ton est différent et se nuance même d’une secrète sympathie, son opinion ne diffère pas essentiellement de la leur.


RENE DOUMIC.