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chroniqueur des Cinq Châteaux, ou des histoires anecdotiques des Campagnes de 1866 et de 1870. A quoi il convient d’ajouter que, malgré sa collaboration, en qualité de critique dramatique, à l’un des plus importans journaux « libéraux » de Berlin, ce contemporain des Théodore Storm et des Willibald Alexis, attardé parmi la Prusse impériale de 1885, était justement connu pour la rigueur intransigeante de ses idées « conservatrices,  » tout au moins en matière de politique et de religion, de telle sorte qu’à maints jeunes gens, il devait sembler déjà comme une façon d’anachronisme vivant, le dernier représentant parmi eux d’une race et d’un idéal désormais disparus.

Or il est arrivé que, dès ses débuts dans le roman de mœurs modernes, ce sexagénaire. non seulement a fait voir un incomparable génie de conteur, avec une vérité simple et forte dans la création des figures, un mélange incessant de tendre émotion poétique et de subtile ironie, une science harmonieuse de composition et une pureté et précision de langue qui évoquaient irrésistiblement le souvenir des plus grands maîtres classiques de la prose allemande, mais encore que, d’emblée, le prétendu « réactionnaire » s’est affirmé un parfait « réaliste,  » et d’une hardiesse d’autant plus saisissante qu’elle s’accompagnait d’allures plus souples, plus discrètes et plus nuancées. En de courts volumes dont il n’y avait pas jusqu’au format qui n’offrît un contraste piquant avec celui des énormes romans de tous ses confrères, vieux ou jeunes, Théodore Fontane racontait des histoires de petites ouvrières berlinoises séduites, puis abandonnées par d’élégans viveurs, ou bien il étudiait les phases diverses d’un conflit intime qui, peu à peu, amenait la femme d’un riche bourgeois à devenir la maîtresse de l’un des amis de son mari ; et l’audace imprévue de ces sujets n’était rien encore en comparaison de l’apparente immoralité « documentaire » avec laquelle l’auteur, s’abstenant de juger la conduite de ses personnages, semblait pourtant les excuser ou même les louer, les uns et les autres, à force de les montrer toujours fatalement conduits, dans tous leurs actes, par l’impulsion toute-puissante des circonstances extérieures ou des sentimens et instincts naturels qu’ils portaient en soi. Surgissant à une date où, de tous les coins de l’Allemagne, une foule de jeunes écrivains s’efforçaient avec plus ou moins de bonheur à constituer un type nouveau de roman « naturaliste,  » imité ou en tout cas dérivé de celui qu’avait alors accrédité chez nous l’art des Zola et des Maupassant, les remarquables récits de Fontane ne pouvaient manquer de valoir à celui-ci la situation improvisée d’un chef d’école, autour duquel allait se concentrer et