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celle de tous les autres pays de l’Europe, peut-être même du monde. Nous n’avons pas à la juger ; nous ne pourrions le faire sans nous exposer à blesser des sentimens respectables, des susceptibilités légitimes, soit dans un parti, soit dans un autre. Et enfin, ce sont choses d’Espagne, comme on dit volontiers de l’autre côté des Pyrénées, pour faire entendre qu’il faut vivre au milieu d’elles, si on veut en parler à bon escient.

On se rappelle comment M. Canalejas, qui appartient à la partie avancée du parti libéral, est arrivé au pouvoir. M. Maura, chef de la droite, avait été obligé de donner sa démission, parce que M. Moret, chef de l’opposition, lui refusait les moyens de vivre, et M. Maura, à son tour, a mis M. Moret dans une obligation analogue, par un juste retour des choses d’ici-bas. C’est alors que M. Canalejas, chargé par le Roi de former un ministère, s’est acquitté de sa mission, sinon avec le concours, au moins avec la bienveillance de M. Maura et de la droite. On aurait pu croire qu’il se sentirait obligé par cela même d’apporter une modération particulière dans sa politique, mais il n’en a rien été. C’est un homme de convictions fortes, qui ne tient pas au pouvoir pour le simple plaisir de l’exercer, et qui prétend s’en servir pour appliquer ses idées, ses principes, son programme. Nous constatons d’ailleurs que, jusqu’à ce jour du moins, la droite l’a laissé faire, sans paraître s’émouvoir outre mesure de la tempête qu’il a déchaînée, soit qu’elle ne la juge pas encore vraiment dangereuse, soit qu’elle se sente de force à l’arrêter lorsqu’elle en jugera le moment venu. Quoi qu’il en soit, M. Canalejas a entrepris de faire faire à l’État espagnol un pas considérable dans la voie de la laïcisation. Ce pas, presque tous les autres États de l’Europe l’ont fait depuis plus ou moins longtemps ; mais, si on considère le point où est aujourd’hui l’Espagne et celui où M. Canalejas veut la conduire, la distance à parcourir paraîtra considérable, et on peut se demander si le ministre du roi Alphonse a toutes les forces nécessaires pour la franchir d’un seul élan. Ne sera-t-il pas abandonné par ses alliés provisoires de droite ? Ne devra-t-il pas chercher d’autres concours à gauche, et lesquels ? Ses amis mêmes, qui aujourd’hui l’exhortent et le poussent, le suivront-ils jusqu’au bout ? A toutes ces questions, l’épreuve seule répondra.

Lorsqu’il a pris les affaires, M. Canalejas a trouvé une question pendante depuis longtemps, déjà, celle du Concordat avec Rome que les conservateurs eux-mêmes avaient senti la nécessité, de modifier. M. Maura, autrefois, n’avait pas méconnu cette obligation ; mais,