Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un recours au Pape, Cauchon met fin aux interrogatoires secrets.

Les juges se réunissent à part pour délibérer. Ils décident qu’il sera fait un extrait, en forme d’articles, de tout ce que Jeanne a dit et déclaré et que cet extrait sera communiqué aux maîtres et docteurs pour qu’ils puissent, plus facilement, arrêter leur décision. On lit rapidement les procès-verbaux à Jeanne qui acquiesce en présentant seulement quelques observations.

Au moment où elle va reparaître en séance publique, une scène des plus dramatiques se produit entre elle et ses juges.

On est au dimanche des Rameaux, quand la nature reverdit et que la foi, ravivée par les saints sacremens, coule dans les cœurs comme une fontaine rafraîchissante. Sans doute, elle s’est remémoré les années de son enfance, le printemps, les cloches qui sonnent, les communions renouvelées. Elle demande qu’on l’autorise à entendre la messe, en ce jour de revivification et de sanctification.

On le lui accordera si elle veut quitter l’habit d’homme c’est-à-dire si elle consent à affirmer par ce fait ostensible qu’elle renonce à sa mission. Elle supplie qu’on l’autorise à entendre la messe avec l’habit qu’elle porte, et à recevoir, avec ce même habit, l’Eucharistie, le jour de Pâques. L’évêque refuse : « Quittez l’habit d’homme. » — « Ne peut-il donc, répond-elle, m’être permis d’entendre la messe dans l’état où je suis ? Je le désire ardemment. Quant à changer mon habit, je ne le puis ; ce n’est pas en mon pouvoir. » L’évêque refuse… Ecoutez, maintenant, ces paroles ardentes, même à travers les rubriques glacées du procès-verbal : « Je ne puis changer ; je serai donc privée du viatique. Je vous en supplie, messeigneurs, permettez-moi d’entendre la messe en habit d’homme ; ce vêtement ne change pas mon âme ; et ce n’est pas contraire aux lois de l’Eglise ! » L’évêque refuse. Et, sur cet incident, le promoteur Jean d’Estivel, surnommé Benedicite, clôt le procès d’office.

Le procès ordinaire commence le 27 mars, mardi après le dimanche des Rameaux. C’est une sorte de recollection du procès d’office, avec cette différence que le promoteur, qui, éclairé maintenant par les premiers interrogatoires, sait où il va et ce qu’il veut, groupe et ordonne les argumens ; procédant avec une méthode plus rigoureuse contre Jeanne, il la pousse, sans aucun respect de la vérité, de la défense et du droit, là où il prétend la conduire. D’Estivet donne lecture, en présence de