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formidable panique, fille de l’universelle indiscipline, à laquelle le pays fut en proie : pas un bourg, pas un village qui n’ait construit ou reconstruit sa bicoque ; on ne s’en remettait plus au corps social d’assurer la défense commune ; chacun agissait pour son compte, au hasard des ressources et de la force particulières.

Les petites guerres locales se multiplient à l’infini et elles forment un fond tragiquement animé à la grande guerre générale qui se promène et se balance, en quelque sorte, d’une frontière à l’autre, d’une province à l’autre, du Mont Saint-Michel à Vaucouleurs, de Beaugé à Compiègne, d’Azincourt à Patay. Brochant sur le tout, des bandes de partisans, se déplaçant avec une audace et une rapidité inconcevables, rayent cet échiquier compliqué de leurs passages imprévus et de leurs apparitions sanglantes ; elles arrivent et partent, laissant la mort et la ruine derrière elles. Les Français ne ménagent pas les Français. Que dire des étrangers, appelés de tous les pays de l’Europe, pour achever ce que les violences intestines auraient laissé debout ? Le lien national s’étant dissous, la survenue des gens du dehors achève le désastre. Ecossais, Navarrais, Anglais, Allemands, Flamands, Italiens, Lombards, tous se jettent sur la proie. Le premier signe de retour à la santé sera la volonté, chez ce peuple, d’accepter, pour lui seul, les risques de la lutte et de se défendre lui-même pour se nettoyer de cette pouillerie. On sait que ce fut l’effet le plus incontestable de l’apparition de Jeanne d’Arc et l’œuvre que reprit, de ses mains, son compagnon d’armes, Richemont.

Personne n’est plus à sa place, personne n’est plus à son devoir. C’est la royauté elle-même qui signe le traité de Troyes, c’est-à-dire qui livre la France. Ce sont les fils de saint Louis qui ont assassiné rue Barbette et qui ont assassiné au pont de Montereau ; et ce sont les fils de saint Louis qui font faire, dans les thèses de Jean Petit, l’apologie de l’assassinat. Ils sont les premiers à détruire ce royaume dont ils sont les héritiers et l’ordre dont ils sont les gardiens.

La noblesse s’est fait battre à Crécy, à Poitiers, à Azincourt : elle a failli à celui de ses devoirs qui seul justifie ses privilèges, la défense du pays. Maintenant, elle se rue en cruautés affreuses, en trahisons et en violences basses. Le petit groupe qui s’est attaché à la personne de l’héritier légitime se distingue à peine de la masse. Pour un Barbazan que de Gilles de Rais ! Ce n’est