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En 1425, au-delà de Beauvais, près de Saint-Just-en-Chaussée, le paysan Le Roy, de Valescourt, et son lieutenant, Pierre Vendôme, commandent une compagnie nombreuse formée de gens des villages d’alentour ; elle fait des prisonniers, possède des dépôts de poudre, compte des intelligences dans les villages et jusque dans Amiens. Dans l’hiver de 1426, une compagnie est cantonnée dans les environs de Trie-Château où son installation dans les bois se présente « comme un fait datant de longue main et de notoriété publique. »

Ces exemples peuvent être multipliés à l’infini et, en fait, ils sont recueillis, en si grand nombre, par les auteurs qui ont décrit la vie de nos provinces à cette époque, et notamment par l’érudit écrivain des Episodes de l’invasion anglaise, qu’ils forment, pour ainsi dire, la véritable trame de l’histoire de France. C’est parmi ces « brigands » que bat le cœur de la nation et non dans les châteaux de la Loire où se disputent et s’assassinent entre eux les honteux favoris de Charles VII. Et comment ne pas conclure, avec le narrateur de ces faits significatifs et si profondément humains : « De leur apparente dispersion, de leurs manifestations d’abord déconcertantes, se dégage une impression qui persiste, d’œuvre commune et d’occulte coopération toujours prête à s’affirmer… Ces combattais indigènes, sans forteresses et sans abris, qui courent la campagne et les bois, qui s’y dispersent, défendent les enceintes démantelées et croulantes des forteresses intérieures, s’entendent, communiquent, savent se chercher et se rejoindre. L’esprit national s’entretient à ce contact… et la grande secousse de 1429 les trouvera prêtes à l’action, familières du sacrifice, entraînées au mépris de la mort, à la jouissance du péril, à la haine de l’étranger. »

Voilà donc qui est démontré par l’érudition la plus scrupuleuse : quand les hiérarchies manquent à leur devoir, d’autres hiérarchies se constituent, les initiatives individuelles pullulent, un nouvel ordre se crée. Ce sont les explosions dispersées de ce sentiment national que Jeanne d’Arc amasse en son esprit réfléchi et qui vont, par elle, se condenser et éclater sur son temps, comme un éclair.

Sa vocation est née du désordre, mais pour le guérir. Elle restaure l’autorité, mais de la seule façon qui vaille, en démasquant les autorités usurpées, en substituant aux droits le droit, et aux hiérarchies les mérites et les services.