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Une telle exégèse est à ses origines ; elle se développera, comme la science de l’homme elle-même, beaucoup au-delà de ce qu’il nous est possible de prévoir. Déjà on sent combien les recherches nouvelles élargissent le champ de l’histoire et de la méditation, en portant, d’un seul coup, l’humain jusqu’au divin.

Jeanne continuera à émouvoir l’art, la littérature, la science, sans que ni l’art, ni la littérature, ni la science puissent l’atteindre et l’embrasser définitivement.

La culture grecque, latine, chrétienne, méditerranéenne, gardée en Europe, transportée sur d’autres continens, ne périra pas : elle reprendra son éclat un instant éclipsé. Il ne peut pas se faire qu’elle manque à l’humanité. Par-là se rétabliront, dans la vie universelle, les grands équilibres, les grandes réconciliations, les sages et loyaux apaisemens. Le juste sera pris comme juste et le vrai comme vrai. L’autorité et la liberté, l’individuel et le général retrouveront leurs limites respectives et leur pondération indispensable. L’humanité n’est pas condamnée à se déchirer toujours faute de règle, à errer faute de guide, à se tromper faute de mesure. Or, tout cela est dans l’héritage antique, et l’avenir saura ce qu’il doit à Jeanne de le lui avoir conservé.

Jeanne a fourni, à l’humanité du XVe siècle et à l’humanité future, l’instrument du salut, en tirant du péril la plus grande et la plus noble des traditions humaines ; elle a renoué la chaîne des temps ; elle a confié le passé à l’avenir. Elle a été « l’ange » de la Renaissance, la messagère de l’ordre nouveau, portant en la main la fleur de lys. Nous ne sommes qu’à l’aube des jours qui verront se développer, indéfiniment, sa « mission. »


GABRIEL HANOTAUX.