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tâche de recruter des adhérens au parti bonapartiste. « La baronne de Seebach, femme du ministre de Saxe à Paris, et les deux filles du maréchal de Castellane, Mme de Contades (plus tard comtesse de Beaulaincourt) et Mme de Hatzfeld (plus tard duchesse de Talleyrand et Sagan), sont citées par M. Bocher comme les habituées les plus fidèles de ce salon, où Alfred de Musset se montrait fort assidu, ainsi que Canrobert, Espinasse et la plupart des artisans du coup d’Etat de Décembre.

Déjà les Souvenirs un peu décousus de Mme Jaubert, l’aimable « marraine » de Musset, nous avaient jadis amplement renseigné sur Mme Kalergis, sur ses relations avec Berryer, Cavaignac, Théophile Gautier, Henri Heine et autres célébrités de l’époque. Avouons même que Mme Jaubert parle assez légèrement de son ancienne amie dont elle critique la désinvolture slave en matière de sentiment ; elle lui reproche en particulier certaines coquetteries qui auraient engagé le général Cavaignac dans une folle passion dont sa santé fut sérieusement ébranlée. Enfin on a publié, il y a trois ans à Vienne, la correspondance de Mme Kalergis-Mouchanoff avec sa fille, la comtesse Marie Coudenhove ; mais ce livre, qui méritait à plus d’un titre l’attention du public français, a passé totalement inaperçu parmi nous, bien que les lettres qu’il renferme soient presque toutes écrites dans notre langue. Quelques-unes le sont en allemand toutefois, ainsi que l’introduction et les notes du volume, et cette circonstance a pu décourager les lecteurs que nous serions heureux de ramener vers ce livre attrayant[1].

A l’aide des documens que nous venons d’énumérer et aussi de quelques souvenirs directement recueillis par nous auprès de nos proches, nous tenterons d’esquisser une physionomie morale qui nous apparaît fort sympathique, tant par sa capacité d’enthousiasme généreux que par sa droiture intellectuelle et sa persistante sincérité vis-à-vis d’elle-même.


I

Marie de Nesselrode était la fille unique d’un gentilhomme allemand de très ancienne souche rhénane, le comte Frédéric Nesselrode qui, ayant pris du service en Russie comme plusieurs

  1. La Mara, Marie von Mouchanoff-Kalergis, in Briefen an ihre Tochter. Leipzig. Breitkopf et Huertel, 1907.