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A Bade surtout, où elle posséda longtemps une villa, son salua réunit un véritable parterre de rois, et son père, le franc et jovial comte Frédéric Nesselrode, a raconté bien joliment ses tribulations parmi cette cohue d’Altesses : « Je suis tombé ici dans un guêpier épouvantable, écrit-il à sa petite-fille : j’y ai trouvé le roi et la reine de Prusse, le roi des Belges, le grand-duc de Bade et sa femme, le prince Wasa, les princes de Hesse, les grandes-duchesses Marie et Hélène. Pour vous donner une idée, il suffit de vous dire que, depuis le jour de mon arrivée, Marie a dîné une fois à la maison et pris une fois le thé le soir. Ce matin, elle est entrée chez moi et me dit : La soirée a été charmante, mais il n’y avait pas même cinquante personnes : je les ai comptées exprès pour vous prouver combien Bade est déjà vide de monde ! Et notez encore que c’était une soirée donnée pour le roi et la reine de Prusse ; par conséquent, n’étaient invitées que les personnes désignées par la reine elle-même. Mais, comme c’est bien Marie, n’est-ce pas ? Cinquante personnes, pour elle, ce n’est pas la peine d’en parler ! » Et le vieux gentilhomme poursuit avec une indignation comique : « Ces jours derniers, le roi de Prusse fait une visite à Marie et lui dit, entre autres choses (par pure politesse comme de raison) : — Mais j’apprends que votre père est ici ; je voudrais pourtant le voir. — Là-dessus, Marie n’a rien de plus empressé à faire que d’accourir chez moi pour m’appeler. Le Roi la suit sans rien dire et entre avec elle dans ma petite chambre où je fumais ma pipe dans un bon fauteuil ! Gardez donc, dans ces conditions, votre incognito ! »

A Varsovie, sa ville natale où elle est souvent ramenée par son affection pour son père, Mme Kalergis bénéficie plus qu’ailleurs de cette exceptionnelle situation européenne qui lui fait auprès de ses compatriotes comme une auréole d’élégance et de séduction. Là, elle est véritablement reine par l’influence mondaine indiscutée et c’est d’ailleurs à cette condition seulement qu’elle supporte quelque temps le séjour de cette capitale lointaine. Son père nous renseignera une fois de plus, avec l’humour qui lui est naturel, sur les sentimens que sa propre patrie inspire à cette enfant gâtée de la haute société cosmopolite : « A l’heure qu’il est, écrit-il un jour à sa petite-fille, je me trouve un peu isolé, mais, depuis longtemps, j’y suis plus ou moins habitué, et puis, je suis si content de savoir votre maman dans un endroit où elle est bien mieux qu’ici et surtout bien