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vin, paysan vigoureux et jovial, qui en temps d’élection « volontiers se démontre » : le député de l’arrondissement a le secret de son cœur, et c’est… la recette buraliste du canton. Notre député ne trahira aucun secret, mais s’il avait obtenu tout ce qu’on lui a demandé et même tout ce qu’il a promis, — car c’est un homme charmant et qui n’aime pas vous laisser partir sans espérance, — bien des champs seraient abandonnés. Beaucoup n’attendent rien, n’ayant rien demandé. Et cependant ceux-là aussi supportent avec moins de facilité qu’autrefois l’effort continu du travail agricole, les tâches monotones et solitaires, les longues semaines sur les mêmes sillons loin des distractions et des nouvelles. Nous en sommes avertis par un fait intéressant, la tendance au maquignonnage, à un maquignonnage spécial, curieux, qui porte sur des animaux que les paysans achètent et vendent entre eux, et qui pour beaucoup se réduit à une sorte de jeu de hasard. Ils y perdent leur temps, n’y gagnent pas d’argent, y prennent des habitudes peu recommandables, mais ils justifient ainsi leur présence dans les foires, et, deux ou trois jours par semaine, peuvent quitter la maison. Ce maquignonnage fait chaque année des progrès ; dans certains villages, un tiers de la population s’y livre ouvertement ; c’est une plante parasite qui envahit la vie agricole et l’appauvrit, car on devine sans peine que l’homme, devenu maquignon, est moins dévoué à la terre : le jour où il a à choisir entre une foire renommée et un labour pressant, c’est le labour qui est sacrifié.

Où est le vieux paysan qui, le dimanche après la messe, éprouvait le besoin de faire le tour du champ qu’il n’avait pas quitté de la semaine ? Un beau guéret, une luzernière, un arbre chargé de fruits, éveillaient dans son esprit un monde d’images, d’idées, de souvenirs, et parlaient à son cœur. La terre était son amie et il ne pouvait rester un seul jour sans la voir. Elle est rompue, la vieille et touchante amitié de l’homme et de la terre, et pourtant la terre gasconne est toujours la même, toujours nourricière dans ses plaines aux riches récoltes et sur ses coteaux couronnés de vignes. C’est l’homme qui a changé, son âme est ailleurs.

Ecoutons les conversations des paysans quand ils sont réunis pour le travail ou pour le repos ; comparons celles d’autrefois à celles d’aujourd’hui. Autrefois, c’était la chronique locale qui