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paroisse près de Fleurance où il a vécu, grand chasseur devant Dieu et devant les hommes, où il est mort en 1820, s’excusant auprès de ses héritiers de leur laisser une dette, une seule, un compte de poudre et de plomb chez un arquebusier de Lectoure[1].

Si je relève ces coïncidences, c’est pour montrer le procédé de cette littérature prenant son bien où il se rencontre, arrêtant au passage les histoires qui lui plaisent, les démarquant, les situant dans le pays, leur donnant de la couleur locale. Et cette littérature avait aussi son fonds de réserve, qu’on sortait plus rarement, dans les longues soirées d’hiver, quand l’assemblée était nombreuse et qu’il y avait quelqu’un sachant les vieux contes, ces contes dont l’origine est obscure, qu’on retrouve un peu partout, que les savans ont recueillis, mais dont l’édition était toujours locale, avec des noms de lieux et de personnages tirés du pays. Dans l’ensemble, tout cela formait une littérature très variée, touffue, truculente et grasse, avec de fines paillettes et des perles, savoureuse, instructive, et ayant ce caractère, qui domine tout, d’être locale, d’être née de la vie agricole, de la vie du village et de ne pas la dépasser, par-là d’être fixatrice, — qu’on me passe le mot, — c’est-à-dire de retenir, de fixer l’imagination de l’homme dans l’horizon étroit où il doit vivre.

Partout où l’homme s’installe, il crée une littérature locale pour embellir son séjour, s’il est librement choisi, pour en adoucir la rigueur, s’il est forcé. On la trouve au couvent, à l’usine, à l’atelier, comme aussi au collège, au régiment et même au bagne. Et quand cette littérature disparaît, c’est sans doute un fait qui veut dire quelque chose, un véritable symptôme et dont il faut tenir compte. Qu’est devenue la littérature du village ? Aujourd’hui, après l’inévitable tribut payé au temps qu’il fait, à l’apparence des récoltes, au prix des denrées, à la politique si la période électorale est ouverte, on arrive tout de suite aux nouvelles apportées la veille par le journal : les affaires du Maroc, le grand procès à scandale, les exploits des apaches, les derniers échos du champ d’aviation. On ne s’intéresse plus à la petite vie locale, on n’en tire plus des récits amusans, la chronique du village paraît misérable en regard de celle de Paris, tous les conteurs des veillées ont disparu emportant leurs secrets,

  1. Notes sur une famille de bourgeoisie rurale en Gascogne au XVIIIe siècle, par le docteur E. L. H. : Lardanchet, éditeur, Lyon, 1808.