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IV

Je prévois bien des objections.

Je passe sur la crainte de voir renaître les vieilles rivalités, les vieilles haines de village à village, ou encore le particularisme provincial. Il y a des choses qui ne reviennent pas avec les routes, les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, les mille moyens dont dispose la vie moderne pour mêler et confondre les différens groupes de populations. Mais on dira certainement qu’en faisant de l’école un foyer intense de vocations agricoles, on étouffe d’autres vocations intéressantes et même précieuses. C’est possible, et, si cela doit diminuer le nombre des bacheliers, il faudra s’en consoler en songeant qu’il y aura quelques déclassés de moins. D’ailleurs, la France ne manque ni d’avocats, ni de médecins, ni même d’hommes politiques, et la Gascogne manque de laboureurs. En retenant à la charrue les plus intelligens des écoliers, on ne compromettra pas les réserves intellectuelles de la race ; elles se conservent aussi bien chez le paysan qui conduit habilement sa polyculture, résolvant chaque jour les nombreuses difficultés que font naître autour de lui les passions et les intérêts divers, que chez son compagnon d’école, devenu savant, qui enseigne le latin ou les mathématiques dont il a chargé son cerveau.

Voici une autre objection. Dans votre école, à côté des apprentis laboureurs qui forment la majorité, il y a des enfans qui deviendront maçons, tailleurs, forgerons, charpentiers. Leurs intérêts ne seront-ils pas compromis ? — Comment le seraient-ils ? Ils recevront l’enseignement primaire comme les autres, et, si d’avoir subi un entraînement vers la vie agricole, ils sont plus tard détournés d’aller se perdre dans la grande ville, ce sera tout bénéfice. Il y a aussi quelques enfans, en plus petit nombre, que le collège attend. Ceux-là m’intéressent moins, l’école du village n’est pas faite pour eux, elle est faite surtout pour ceux qui ne doivent pas en avoir d’autre. Et c’est précisément le reproche que je fais à l’enseignement primaire actuel d’être trop général, le même partout, trop préparatoire à d’autres enseignemens qu’il semble appeler.

La dernière objection est la plus sérieuse : — Vous voulez que l’école se modifie dans ses programmes, ses méthodes, son