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soldats ou ses juristes, la Prusse n’oublie jamais les convoitises de ses savans ; et par l’organe des Grenzboten, la science allemande réclamait sa part du prochain butin.

Cependant, l’Autriche, l’Italie, étaient convoquées comme auxiliaires pour la grande lutte. À Vienne, la Nouvelle Presse libre parlait de cette colossale alliance qui serait nécessaire à la paix de l’Europe et à la sécurité du monde, tant que la France se consumerait dans ses projets de vengeance contre l’Allemagne et resterait un foyer d’intrigues ultramontaines au profit du Saint-Siège. En Italie, le député Miceli déclarait que le Cabinet de Rome devait suivre l’Allemagne, nécessairement, inexorablement, dans la guerre formidable qu’elle avait entreprise contre le cléricalisme, et M. Visconti Venosta répondait qu’en effet la résistance des deux gouvernemens contre un parti ennemi de l’autorité civile et de la liberté ménageait à leurs rapports amicaux une nouvelle assise. Le prince Humbert venait à Berlin ; Guillaume allait jusqu’à la gare pour le recevoir ; et la Gazette de Cologne expliquait que l’Allemagne et l’Italie avaient un même ennemi, le monarque entêté du Vatican. Bismarck, fabriquant des spectres pour que sa presse les exhibât, finissait par les prendre au sérieux, tout le premier : s’il se montrait singulièrement avare de concessions lorsqu’on négociait la libération de notre territoire, c’est parce qu’il voulait élever des digues contre la perspective d’un gouvernement ultramontain en France, et contre la disposition du clergé français à prêcher la guerre sainte. Un travail se faisait, dans sa presse d’abord, et puis, inconsciemment, dans sa pensée : au terme de ce travail, la lutte contre l’Eglise apparaîtrait comme l’appendice de la lutte contre la France, et la défensive de l’Eglise serait présentée comme une première revanche essayée par la France. Bismarck sentait inévitable, sur le terrain parlementaire, la désertion des conservateurs ; mais, sur un autre terrain, sur le terrain national, il aspirait à concentrer tous les Allemands soucieux de l’honneur allemand, pour une lutte qui n’était pas seulement intérieure, mais qui deviendrait internationale, lutte contre l’Eglise, ennemie archaïque des empereurs, mais lutte aussi contre lu France, ennemie héréditaire de la Germanie.


GEORGES GOYAU.