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démarche de Gaudrion, et a proposé à M. Yves Durand de le mettre en rapport avec ce dernier. Il est allé plus loin, puisqu’il a conduit M. Yves Durand chez Gaudrion, ignorant qu’il avait eu affaire à un homme qui devait être condamné à la prison. C’est même pour se venger de sa condamnation que Gaudrion a mis tout le monde en cause, M. Prévet dont le rôle, on vient de le voir, n’avait été nullement incorrect, M. Yves Durand et, derrière lui, M. Lépine, enfin derrière M. Lépine, M. Clemenceau qui lui aurait donné des ordres dont M. le préfet de police aurait confié l’exécution à M. Yves Durand. Nous avons laissé celui-ci en tête à tête avec Gaudrion : que s’est-il passé entre eux ? M. Yves Durand a demandé au financier s’il ne voudrait pas déposer une plainte contre Rochette. Gaudrion s’est personnellement dérobé, mais il a mis en avant un M. Pichereau, qu’il a présenté comme intéressé dans les affaires Rochette et disposé à déposer une plainte. M. Yves Durand est allé voir M. Pichereau, qui a déposé la plainte attendue, peut-être même sollicitée, et aussitôt une instruction a été ouverte : Rochette n’a pas tardé à être arrêté. Ce n’est pas seulement en diplomatie qu’il faut se méfier des excès de zèle : ils sont partout imprudens. Que M. Yves Durand en ait commis, c’est ce que la suite a fait voir et ce que M. le préfet de police a reconnu. L’arrestation de Rochette a porté naturellement une atteinte immédiate à ses affaires ; elles ont baissé, et Gaudrion a pu faire un coup de bourse où il a gagné beaucoup d’argent. Il s’est trouvé que M. Yves Durand avait lui-même déposé une petite somme dans une maison de coulisse, qui a profité de la ruine de Rochette, et il a avoué lui-même que, en cela aussi, il avait commis une imprudence. Si ce mot revient sous notre plume, c’est que nous ne voyons pas que, jusqu’ici du moins, on ait le droit d’en prononcer un autre. Nous ne connaissons pas M. Durand, mais ceux qui le connaissent attestent qu’il est un honnête homme. Quant à M. Lépine, il est connu du monde entier et personne ne s’est avisé jamais de mettre en doute son absolue droiture. Et M. Clemenceau ? — J’ai reçu des ordres de lui, aurait dit M. Lépine ; je n’ai fait que les exécuter. — A quoi on a répondu qu’il y avait des ordres auxquels il ne fallait pas obéir. Mais, à supposer que M. Clemenceau ait donné un ordre formel à M. Lépine, cet ordre était-il de ceux contre lesquels la conscience doit se révolter ? Ce n’a pas été le sentiment de M. Lépine et il avait sans doute de bonnes raisons pour cela. Il a pris d’ailleurs devant le Conseil municipal de Paris la pleine responsabilité de son acte : dès lors la question de savoir si cet acte est résulté, ou non, d’un ordre de M. Clemenceau a perdu