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leurs flatteuses avances, et, sans prononcer de vœux, il entra dans leur congrégation, un peu avec les sentimens qui, plus tard, retinrent quelque temps Renan à Saint-Sulpice : la sécurité de la vie matérielle, une existence agréable, non solitaire et pourtant recueillie, — in angido cum libello, — des loisirs pour la rêverie et pour l’étude, il trouvait tout cela dans cette voie nouvelle qui s’offrait à lui. Il enseigna avec amour et avec succès : professeur le matin, suivant l’usage des Doctrinaires, le soir, il redevenait écolier. Il sortit de là un humaniste accompli. « Enseigner, c’est apprendre deux fois, » disait-il plus tard avec infiniment de justesse ; et au reste, toutes ses pensées sur l’éducation sont comme gonflées d’expérience personnelle. Cette vie studieuse et retirée ne lui laissa que d’agréables souvenirs, el, bien longtemps après, écrivant à Fontanes, il en faisait un vif éloge. « Le temps de leur professorat, disait-il de ses anciens confrères, était pour eux un enchantement continu, et de ces dispositions naissait en eux une aménité de goûts et de manières qui se communiquait, non seulement à leurs élèves, mais à tous ceux qui enseignaient, car partout où il y a des modèles, il y aura des imitateurs. » « L’aménité de goûts et de manières » était naturelle à Joubert ; mais, dans ce milieu ecclésiastique, cette qualité se développa et se fortifia tout à son aise ; une certaine onction s’y mêla sans doute bien vite. « Les cérémonies du catholicisme, a-t-il dit bien joliment et non sans profondeur, les cérémonies du catholicisme plient à la politesse. »

il quitta les Doctrinaires à l’âge de vingt-deux ans. Sa santé, qui fut toujours délicate, s’accommodait mal des fatigues de l’enseignement. J’imagine aussi que, littérateur né, il dut se sentir attiré par une vie plus libre et plus active. Les Ronsard et les Du Bellay ne s’éternisent pas au collège de Coqueret. Joubert faisait des vers « avec beaucoup de grâce et de facilité, » nous dit-on. C’est en 1774 qu’il commença ce journal qui, régulièrement tenu pendant un demi-siècle, a fourni la matière des futures Pensées. A Toulouse, il avait fréquenté des milieux fort cultivés et s’y était initié aux productions de la littérature contemporaine. Il retourna tout d’abord à Montignac, dans sa famille, et s’y reposa deux années, lisant et approfondissant les auteurs anciens qu’il ne connaissait pas encore, et les modernes qui lui tombaient sous la main, écrivant aussi et « s’occupant de quelques ouvrages qui donnaient de lui de grandes