Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison suffisante pour refuser aux noirs les réformes nécessaires à leur relèvement moral et social. Quels que soient les mobiles qui les provoquent, les attaques de M. Morel n’en ont pas moins eu cette heureuse conséquence d’attirer l’attention sur une situation inadmissible à bien des points de vue. Les Belges eussent été inexcusables de n’y point porter remède. Heureusement, ici encore, comme dans le domaine économique, le changement est aujourd’hui radical.

Cette transformation se manifeste aussi bien dans le régime appliqué à la colonie que dans la situation sociale des indigènes.

A un régime d’absolutisme sans limite, a succédé une charte si progressive et si libérale que son application donne certaines inquiétudes aux milieux coloniaux[1].

Les droits des habitans et le contrôle de la Métropole sont assurés au Congo belge d’une façon plus complète que dans n’importe quelle colonie. Dans la plupart des chartes coloniales, il n’est point question des droits des indigènes. Il en est ainsi notamment pour les possessions allemandes et anglaises, sauf dans l’Afrique orientale et l’Uganda[2] où il est stipulé « qu’en rendant des ordonnances, le commissaire respectera les lois et coutumes indigènes pour autant qu’elles ne soient pas en opposition avec l’équité et la morale (art. 12 ; n° 3). »

Encore ces garanties sont-elles rendues singulièrement précaires par le droit conféré au commissaire de délivrer sans appel des ordres de déportation et d’ordonner au besoin la détention jusqu’au moment de la déportation (art. 25).

La loi congolaise, au contraire, confère à tous les habitans de la colonie la jouissance des droits essentiels établis par la Constitution belge[3]. Les indigènes sont assurés du respect de leurs coutumes et placés sous la protection du gouverneur général (art. 3), et d’une Commission spéciale (art. 4)[4]. Le

  1. Le rapporteur de la Loi coloniale à la Chambre Belge disait déjà : « L’avenir dira si cette initiative hardie a été justifiée et pratique. Mais ce qui dès à présent est certain, c’est qu’elle ne sera telle que sous la condition que cette intervention de la Métropole soit circonspecte et mesurée dans son application. »
  2. Lois du 11 août 1902.
  3. Art. 7 à 24, comprenant notamment : la liberté individuelle, la liberté des cultes, le respect de la propriété privée, l’inviolabilité du domicile, la liberté de poursuite contre les fonctionnaires, etc.
  4. Cette Commission, composée de six membres et présidée par le vice-gouverneur, comprend quatre missionnaires catholiques et un missionnaire protestant (Rev. Ross Phillips, représentant de la Baptist).