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Et pour être mieux à couvert,
Entrons au creux de cette roche.

D’un air plein d’amoureuse flamme,
Aux accens de ta douce voix
Je vois les fleuves et les bois
S’embraser comme a fait mon âme.

Si tu mouilles tes doigts d’ivoire,
Dans le cristal de ce ruisseau,
Le Dieu qui loge dans cette eau
Aimera, s’il en ose boire.

Je baignerai mes mains folâtres
Dans les ondes de tes cheveux
Et ta beauté prendra les vœux
De mes œillades idolâtres.


La Maison de Sylvie, c’est-à-dire la maison de Mme de Montmorenci, c’est-à-dire Chantilly, est une suite de poèmes minutieusement descriptifs, où la multiplicité des petits détails finit par rebuter non médiocrement. On a mille fois répété que l’art de La Fontaine descripteur consistait à choisir d’instinct les trois ou quatre traits frappans, significatifs, caractéristiques et à laisser tout le reste. C’est exactement le contraire que fait Théophile. Il ne laisse rien. Il semble nous dire : « Voilà tout. Vous choisirez vous-même. » Nous le faisons, mais c’est fatigant. Il vaut mieux donner au lecteur le plaisir de compléter que la charge de choisir. Théophile décrit la nature exactement comme Ronsard, sans en rien omettre. C’est ici qu’il est le plus éloigné de l’art classique. A donner ces poèmes par fragmens, ce défaut ne sera pas sensible. Mais il fallait que j’en avertisse. Il a du reste des qualités de fraîcheur, de sensation directe qui n’emprunte rien au souvenir des lectures, de véritable communion avec la nature. On sent qu’il s’y plonge de tout son cœur et qu’il y reste plongé quand il écrit :


Dans ce parc un vallon secret,
Tout voilé de ramages sombres
Où le soleil est si discret
Qu’il n’y force jamais les ombres,
Presse d’un cours si diligent
Les flots de deux ruisseaux d’argent