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plaisir que M. de Gourmont a diligemment recueillie. Il faut se figurer un voyageur, à la brune, inquiet de la nuit qui s’alourdit sur la terre et de toutes les angoisses confuses du crépuscule :


Un corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe ;
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal ;
J’entends craqueter le tonnerre ;
Un esprit se présente à moi ;
J’oy Caron qui m’appelle à soi ;
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte à sa source ;
Un bœuf gravit sur un clocher ;
Le sang coule de ce rocher ;
Un aspic s’accouple d’une ourse ;
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour ;
Le feu brûle dedans la glace ;
Le soleil est devenu noir ;
Je vois la lune qui va choir ;
Cet arbre est sorti de sa place.


La fortune de Théophile a été très grande après sa mort. M. de Gourmont dit avec beaucoup de raison qu’il a été glorieux pendant soixante ans. Pendant sa vie, et ensuite, jusqu’en 1680 environ, il balança Malherbe, Il figure parmi les auteurs désignés par l’Académie pour faire autorité dans la rédaction du Dictionnaire. Corneille, dans une de ses préfaces, dit : « Ronsard, Malherbe, Théophile… » et, certes, dans un sentiment de juste et judicieux éclectisme, on ne peut pas mieux dire. Boileau ne l’a pas tué par son arrêt indigné : « A Malherbe, à Racan préférer Théophile ! » Il n’a guère fait que constater que sa gloire vivait encore en 1670. Et cela est si vrai que La Bruyère en 1688 mettait en parallèle Théophile et Malherbe sans paraître rougir. M. de Gourmont déclare ne pas bien comprendre ce parallèle fameux. J’en ai toujours dit tout autant. La Bruyère compare Malherbe et Théophile comme peintres de la nature. Or Malherbe, sauf six vers : « L’Orne comme autrefois nous reverrait encore… » et une odelette qu’on lui attribue :