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lui-même, simple galerie de portraits contemporains, a beau ne nous révéler que l’une des faces de son talent : il n’en dépasse pas moins de beaucoup le niveau habituel du journalisme de combat, avec des qualités de pensée et de style qui, peut-être, s’accusent aujourd’hui plus vivement encore qu’à la date où ont paru, dans la Zukunft, les différens chapitres recueillis dans le livre. A mesure que s’atténue pour nous l’actualité des figures représentées, l’art éminemment habile et savant du peintre se déploie sous nos yeux avec plus de relief, nous laissant découvrir maintes nuances précieuses qui, d’abord, auraient sans doute risqué de nous échapper ; et c’est ainsi que tels de ces portraits dont les modèles nous sont devenus presque indifférens, ceux de l’Impératrice Frédéric ou du Maréchal de Waldersee, ont pour nous une portée et un agrément artistiques que ne nous présentent pas au même degré les images, plus foncièrement « historiques, » du vieil Empereur Guillaume ou du Prince de Bismarck. Voici d’ailleurs, par manière d’échantillon de cet art savoureux, la rapide analyse de l’article nécrologique consacré par le directeur de la Zukunft, il y a trois ou quatre ans, au Maréchal de Waldersee, l’ancien commandant des troupes internationales en Chine, et, avec cela, l’un des hommes qui ont passé naguère pour avoir le plus activement travaillé à la mémorable disgrâce du prince de Bismarck.

M. Harden commence par citer un éloge funèbre du maréchal, écrit par l’un de ses anciens compagnons « au nom des officiers et fonctionnaires civils de l’expédition chinoise. » Nous y lisons que l’Europe entière a appris avec douleur la nouvelle de cette mort du maréchal, particulièrement sensible à ceux qui, en 1900 et 1901, « ont avec enthousiasme servi sous ses ordres. » Après quoi, l’auteur de la notice définit ainsi le caractère et la vie du défunt : « Orgueil et espoir de l’armée, non moins apprécié dans la paix que dans la guerre, et vraiment homme et chrétien dans toute la force des termes, il a eu une carrière infiniment riche en succès, et couronnée maintenant par une fin prompte et belle, qui réalise son désir de mourir à son poste. Mais en nous tous il continuera de vivre, comme le modèle d’un pur soldat fidèle à son roi, d’un grand conducteur d’armée, d’un noble chef, et d’un loyal camarade. »

Or, il n’y a pas un mot de tout cela qui, d’après M. Harden, ne soit exactement l’opposé de la vérité. Le maréchal de Waldersee, bien loin de provoquer « l’enthousiasme » de ses subordonnés pendant la campagne de Chine, « n’a point cessé de faire l’objet d’innombrables moqueries. » Il n’est point mort « à son poste, » ayant dû prendre sa