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l’air, l’aviation, avait eu ses partisans convaincus. J’ai même entendu plusieurs d’entre eux déclarer que la découverte des Montgolfier avait été néfaste ; elle avait orienté les chercheurs dans la voie de la direction des aérostats qui ne pouvait donner que des déceptions, tandis que la vraie, la seule solution du problème de la navigation aérienne consistait dans l’emploi des appareils plus lourds que l’air. Opinion exagérée, selon moi : je suis persuadé qu’il y aura longtemps encore dans l’atmosphère place pour des aéronefs de tous systèmes. Néanmoins, l’idée de la supériorité de l’aviation était instinctive dans notre pays. Aussi, dès qu’on entendit parler d’aéroplanes qui enlevaient des hommes, et parcouraient plusieurs centaines de mètres, on s’y intéressa vivement, et les dirigeables furent instantanément relégués au second plan dans l’opinion générale.

Les merveilleux progrès accomplis en 1908, année mémorable au cours de laquelle les trajets exécutés en aéroplanes ont passé de 1 kilomètre à plus de 120, ne firent qu’orienter davantage les esprits du côté du plus lourd que l’air.

Après quelques mois de recueillement, au début de 1909, les aviateurs reprirent leurs exploits avec une ardeur nouvelle. La traversée de la Manche par Blériot, les admirables performances accomplies aux portes de Reims pendant la grande semaine de Champagne, semblèrent consacrer définitivement la supériorité de l’aviation sur l’aérostation.

Cet enthousiasme, justifié d’ailleurs, de l’opinion publique devint contagieux, et il fut partagé par des personnages qui auraient peut-être dû réagir contre cet emballement et chercher à examiner les choses de plus près. Nous voulons parler du ministre de la Guerre et des officiers qui, sous ses ordres, avaient la responsabilité des destinées de notre aéronautique militaire. Beaucoup d’entre eux en arrivèrent à se demander si, en présence des progrès de l’aviation, il fallait continuer à s’engager dans la voie douteuse des dirigeables, et s’il n’était pas préférable d’attendre des aéroplanes la solution du difficile problème de l’aéronautique militaire.


IV

Le mois de septembre 1909 vit s’ouvrir la crise aéronautique actuelle. Nous étions encore sous l’émotion des triomphes des