Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il y avait à faire. Le gouvernement, quel qu’il fût, tenait le drapeau de la France. Le devoir de tous les Français était de se ranger derrière lui, de ne lui ménager ni leurs sympathies, ni leur concours. Il faisait personnellement les vœux les plus ardens et les plus sincères pour le succès de nos armes. Mais quel crève-cœur au fond de son âme de soldat ! Cette armée de Crimée, c’était la sienne, celle qu’il avait formée en Algérie et léguée à la France en quittant son commandement. Ses anciens compagnons d’armes, Saint-Arnaud, Canrobert, Bosquet, Pélissier, Mac-Mahon, allaient s’y couvrir de gloire. A lui seul, leur ancien chef, il ne serait pas permis de servir à côté d’eux, de partager les dangers des soldats français. Cette pensée, qui l’obséda pendant toute la campagne, le remplissait d’amertume Cuvillier-Fleury le comprenait bien lorsqu’il lui écrivait le 1er avril 1854 : « L’exil n’a pas eu pour vous une plus cruelle épreuve que de condamner au repos cette épée dont vous avez fait un si noble usage… C’est être exilé deux fois. Ce second exil, qui vous interdit le danger, vous est plus pénible cent fois, j’en suis sûr, que celui qui vous a enlevé vos honneurs et vos privilèges comme prince français. »

Si l’ancien gouverneur général de l’Algérie n’a pas le droit d’aller retrouver sur le champ de bataille ces zouaves et ces chasseurs à pied dont les journaux du monde entier racontent et célèbrent les exploits, du moins ne lui sera-t-il pas défendu d’écrire leur histoire et de reporter au gouvernement de Juillet l’honneur de leur création. Absorbée par le présent, la France oublie volontiers ce qu’a fait le passé. Il est bon de lui rappeler que tout ne date pas du second Empire, qu’il y a eu quelque chose qui l’a précédé et qu’il doit une partie de ses succès du jour à une préparation antérieure. De là un livre excellent, Les Zouaves et les Chasseurs à pied, qui parut d’abord dans la Revue des Deux Mondes[1] sous la signature de V. de Mars, et qui remit en scène le Duc d’Aumale devant le grand public aussitôt qu’on en connut le véritable auteur. Ce fut un peu le secret de la comédie. Les habiles devinèrent tout de suite, chacun sut bientôt à quoi s’en tenir, et l’approbation devint générale. A cinquante-cinq ans de distance, l’œuvre n’a rien perdu de son mérite. On peut la relire avec le plus vif plaisir. Dès les

  1. Voyez la Revue des 15 mars et 1er avril 1855.