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se dissipent. Comme plus d’un autre idéaliste de son âge, Brizeux s’étonne et s’indigne de l’impudence des quémandeurs de galons ou d’emplois. Il est dans son petit logis de la rue Vaugirard, ruminant sa déception, en présence d’un compagnon cher, Auguste Barbier, qui vient de jeter aux échos, avec des accens belliqueux de buccin, la satire de la Curée : « M. de Vigny sonna à la porte et entra… Mon ami (c’est Barbier qui parle) me présenta au gentilhomme poète, et ce dernier, après complimens sur mes premiers Iambes, m’invita à le venir voir à ses jours de réception du mercredi. Je n’y manquai pas, et c’est ainsi que nous nous liâmes. »

Auguste Barbier deviendra pour Alfred de Vigny, comme Auguste Brizeux, un ami très intime ; mais ce caractère d’intimité n’apparaîtra que plus tard : il se manifeste très tôt dans les rapports avec Brizeux, et en voici la preuve. Six ou sept mois seulement après ces premières rencontres, dès le printemps de l’année 1831, Vigny est entré, à ce point, en confiance avec le « jeune poète, » — c’est son expression, — qu’il ne lui cache rien de ce qu’il tient, ou croit tenir, secret pour d’autres. C’est bien, en effet, à Brizeux qu’est adressée le lettre XXVII du recueil Sakellaridès, lettre publiée incomplètement, comme celle du 9 octobre 1829, et sous la même rubrique insignifiante : A un ami. Nous sommes au moment des représentations du mélodrame l’Incendiaire :

«… La pièce est la plus sotte calomnie et la plus plate impiété du monde, mais admirablement jouée par notre seule tragédienne, qui se plaint de ne plus vous voir et qui devrait vous plaindre de ne plus la voir. Ce soir, j’ai vu venir dans sa loge Mme Malibran qu’elle adore, comme vous savez. Cette bonne petite Italienne, qu’elle ne connaissait pas, est venue l’embrasser tout émue d’admiration et a trouvé chez Mme Dorval son portrait placé comme dans une chapelle. J’ai eu beaucoup de plaisir à voir ces deux talens de femme si près l’un de l’autre. Elles étaient comme deux enfans, interdites toutes deux et se regardant et se tenant les mains avec ravissement… Quand Mme Malibran a été partie, celle qui restait a pleuré : c’est sa manière d’être contente, d’être heureuse et d’être belle. Je rentre chez moi ; il est une heure après minuit, je vais écrire, et avant, j’ai voulu vous parler un peu… » (24 mars 1831.)

La réponse à cette lettre est entièrement inédite. Pour