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semblaient, non sans quelque raison, le résultat et le bienfait de la fréquentation des poètes antiques.

A l’avantage d’être loué de cette sorte, en bonne place, par un critique déjà écouté, se joignait pour Brizeux le grand plaisir d’être loué en même temps que son ami Barbier. Quelque retentissant qu’eût été le succès des Iambes, l’arbitre mettait sur le même rang l’auteur de la satire et le poète pastoral, ou peut-être, malgré de visibles efforts pour tenir la balance égale, son goût des effets modérés l’inclinait-il déjà, tout naturellement, vers ces Bucoliques bretonnes ? Mais, à n’en pas douter, c’était bien là le pur, le doux éclat, — sujet, hélas ! à s’éclipser ou même à s’obscurcir, — de ce que Vauvenargues a nommé, d’un nom si heureux, « les premiers regards de la gloire. »

Distrait déjà de ses occupations par la légère ivresse du succès, le poète fut détourné de donner suite à son dessein d’article sur Vigny par un de ces projets qui font tout oublier, jusqu’aux engagemens de l’amitié, qu’on n’aurait jamais cru pouvoir tenir pour négligeables. Le 12 décembre 1831, et non pas, comme l’a dit l’abbé Lecigne, à la fin de septembre, — une lettre d’adieux de Barbier à Vigny écrite de Paris, le 11 décembre, un jour avant le départ, nous donne la date exacte, — l’auteur de Marie, muni de quelque argent qu’il devait moins aux largesses de ses éditeurs qu’à la générosité de sa vieille grand’mère, le cœur bondissant d’allégresse et le visage illuminé d’espoir, partait avec Barbier pour l’Italie.


II

On ne se fait pas, aujourd’hui, bien aisément l’idée de ce qu’était encore en 1831, pour un poète à ses débuts, la joie exaltée, presque religieuse, d’accomplir, après en avoir rêvé bien longtemps, le pèlerinage d’Italie. Les stances enthousiastes du Childe Harold de lord Byron, les appels tendrement ardens de la Mignon de Gœthe hantaient alors bien des mémoires et consumaient, comme un tourment d’amour, certaines imaginations. Chez le jeune Breton qui s’était instruit dans Virgile, ce rêve avait une origine encore plus ancienne. C’est sur les bancs du collège de Vannes que l’écolier de quatrième, aux yeux clairs et profonds, était devenu tout songeur en épelant le cri passionné des matelots troyens : Italiam ! Italiam ! et il allait