Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin savoir tout ce que renfermaient ces syllabes mystérieuses.

Les deux voyageurs s’arrêtèrent à Lyon pour saluer Mme Des bordes-Valmore. On a souvent conté, d’après un chapitre des Souvenirs de Barbier, cette « visite à l’hirondelle sous sa tuile : » l’image, si jolie, est de Marceline elle-même. A Marseille, ils rencontrèrent de Belloy. Arrivés à Gênes, le 2 janvier 1832, ils parcourent d’un pas pressé Livourne, Pise et Florence, partent le 15 janvier pour Rome avec le sculpteur Etex, trouvent aux portes de la « ville éternelle » un autre artiste enthousiaste, un Allemand des bords du Rhin, Winterhalter. Ils ont hâte de gagner Naples. Ils y arrivent à temps pour assister aux fêtes du Carnaval. Aux bords du golfe incomparable, ils s’attardent assez longuement, moins longuement pourtant que ne le dit l’abbé Lecigne : ce n’est pas au début de juin, comme il le croit, que Barbier et Brizeux abandonnent Naples, c’est au commencement de mai.

Le souvenir de Byron ne les quitte pas : ils veulent retrouver toutes ses traces. Ils s’arrêtent de nouveau à Pise, parce que l’amant de la Guiccioli y a vécu assez de temps. Ils passent par Bologne et par Ferrure, et, le 14 mai, ils atteignent Venise, où tout leur parlera de lui.

C’est aussitôt après s’être installé dans l’antique « ville des doges » que Brizeux se mit en devoir d’adresser à Vigny de très jolies notes d’un voyageur : il s’excusait ainsi de cinq mois de silence. Voici le début d’une longue lettre, datée du 15 mai, expédiée de Venise le 16, parvenue à Paris le 24, comme en font foi les timbres de départ et d’arrivée :

« Veuillez bien croire que mille fois j’ai résolu de vous écrire et que les soins, compagnons des voyages'', m’en ont seuls empêché. »

Les expressions soulignées viennent de l’élégie Aux frères du Pange, cette belle pièce d’adieux écrite par André Chénier au moment de partir aussi pour l’Italie, la Grèce et l’Orient. Brizeux n’a pas relu ou ne s’est pas récité les premiers vers sans en faire l’application au groupe des disciples de Vigny :


Vous restez, mes amis, dans ces murs que la Seine
Voit sans cesse embellir les bords dont elle est reine,
Et près d’elle partout voit changer tous les jours
Les fêtes, les travaux, les belles, les amours.